On m'a présenté quintescent au très secret congrès de la très secrète confrérie des tueurs à gages, qui se tenait cette année-là dans un palace de Lausanne.

Selon la tradition de notre confrérie, il portait une tenue sobre discrète, sans être sinistre, et surtout impeccablement repassée et tirée, selon le respect dû aux personnes assassinées.

Ces dernières années, il y a eu bien sûr dans la confrérie quelques nouveaux venus un peu exubérants, amateurs de vêtement et de véhicules voyants et attirant le regard.

Eh bien, je suppose qu'il faut juger les professionnels avant tout en fonction de leurs résultats, mais dans notre professions, la plupart tiennent la discrétion et la modestie pour une manifestation extérieure de bon goût.

Mais il faut bien que jeunesse se passe…

Pour nous, même pour ceux qui avaient déjà un petit peu d'expérience, quintescent était une légende.

Pour vous décrire à quel point il maîtrisait son art, je dirais simplement qu'on nous avait laisser savoir en nous le présentant qu'il venait de terminer un contrat sur la tête de James Brown et Pierre Delanoë, au profit d'une association de moines intégristes ayant fait vœu de silence, et qu'il s'apprêtait à « traiter » l'ancien président iraquien Saddam Hussein, à la demande d'une superpuissance occidentale de premier plan souhaitant rester discrète (en faisant en sorte que cela ait l'air d'un excès de zèle des fonctionnaires locaux).

C'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous, ça voulait dire beaucoup.

Dans notre confrérie, la discrétion est plus qu'un principe, c'est un commandement divin, et plus encore pour les contrats restants à exécuter.

Il fallait une assurance hallucinante pour oser annoncer ses opérations à l'avance !

Faites-moi confiance, pour nous, le type du contrat était déjà virtuellement mort.

Un travail au lacet, à l'ancienne, selon la pratique de la tradition ottomane.

En ce qui me concerne, j'aurais considéré comme un honneur d'être exécuté par un tel artiste.

Evidemment, pour lui, ce contrat était presque une routine, loin des réalisations de légende qu'on enseigne dans les écoles d'assassins, et dont nos vieux ne parlent qu'avec respect et dévotion.

La plus mythique de toutes était bien sûr la légendaire liquidation de J.F.Kennedy à la demande de Marylin Monroe, synchronisée avec l'élimination de celle-ci « par accident » à la demande de Madame veuve Kennedy. Et, en supplément gracieusement offert par la maison, la tête du demeuré promu suspect numéro 1 pour sauver la tête du chef des services secrets.

Un chef-d'œuvre absolu.

Pas le travail de quintescent, bien sûr, trop jeune à l'époque, mais de son mentor et ami personnel Inimaginal, perpétuateur d'une tradition ininterrompue depuis la cour des Doges de Venise.

Une œuvre restée sans égal pendant des dizaines d'années, jusqu'à ce que la princesse de Galles rencontre son destin, prénommé quintescent, dans un tunnel routier sous le pont de l'Alma.

Une réalisation magique, cette fois encore, et des commanditaires prestigieux, d'une très grande et très ancienne monarchie de l'ouest de l'Europe (il est, vous le comprendrez, impossible d'en dire davantage).

Selon la tradition en vigueur depuis la renaissance, nos prestations sont payables d'avance. Il s'agit d'une disposition qui permet de protéger le client contre un contrat dont il pourrait lui-même faire l'objet en cas de difficultés de règlement.

Nous considérons notre pratique comme un art, et que si notre art vit d'argent (dans un agréable confort) il ne vit pas pour l'argent.

C'est un métier de traditions, de discipline, de courage et de respect.

Je sais qu'un jour, grâce à l'appui de très grands maîtres comme quintescent, je transmettrai moi aussi le flambeau de la tradition du plus ancien et du plus discret de tous les arts.