Chapitre 21

Ou l'on découvre ce que les Europains faisaient dans le bois de Boulogne.

Verba volent, sed scripta manent
Jaurès de l'Avenue, in 
Pas de Quartier Latin.


Au temps de Nicolas de Sarcotie, les Europains nourrissaient une inexplicable détestation à l'égard des arbres.

Ils considéraient que les arbres les empêchaient de se rendre d'un point à un autre en ligne droite.

Ils les brûlaient, les perçaient, les bonzaïisaient (une forme de supplice végétal raffiné).

Ils les abattaient par centaines, sans jamais parvenir à les éliminer complètement, malgré tout leur archarnement.

Ils se retrouvaient ainsi avec une énorme quantité de bois dont ils n'avaient que faire, et qui de plus était effroyablement renouvelable.

Pour trouver un usage à tout ce bois, et valoriser ce déchet encombrant comme une matière première, ils imaginèrent d'écrire leurs blogs, journaux, et tout ce qui leur passait par la tête sur papier.

Le bois abondait.

Il suffisait de le broyer pour obtenir de la pâte à papier.

De nos, jours, évidemment, le papier, quand on en a besoin, pour faire des cocottes en papier par exemple, est obtenu industriellement en cultivant des bactéries dans de grands réacteurs biologiques, qui produisent des centaines de kilos de cellulose par jour.

Mais il ne viendrait évidemment à l'idée de personne d'utiliser un support aussi précaire pour stocker de l'information.

On a vraiment du mal à imaginer de se servir de papier pour écrire, mais il faut se rappeler que pour les Europains de cette époque, les ordinateurs n'existaient pas, et que le seul moyen d'enregistrer des informations permanentes était de les imprimer (voir ce terme plus loin).

On composait des textes mentalement, on le mettait en forme en imagination, puis lorsqu'on était satisfait du résultat obtenu, on transférait le texte sur papier, soit manuellement, au moyen du procédé appelé écriture, soit de façon automatique, grâce à l'imprimerie.

Si par malheur on avait une perte de mémoire ou une distraction inopinée, le texte était perdu, et il fallait recommencer tout le processus.

C'était horriblement long et fastidieux, mais il faut se souvenir qu'une civilisation avancée et brillante a réussi à s'épanouir de cette manière.

L'écriture manuelle consistait à frotter le papier avec un bâton sale.

La saleté se déposait en couches minces sur le papier, et si on le dirigeait avec assez de minutie, on parvenait à obtenir la forme des lettres que nous connaissons sur nos ordinateurs.

Ce procédé simple autorisait la polychromie, qui était obtenue en repassant successivement le texte avec de la saleté de différentes couleurs.

Le procédé fut longuement perfectionné, en mettant au point des bâtons composites, munis de leur propre réservoir de crasse.

L'imprimerie, quant à elle consistait en une sorte de système de pochoirs miniaturisés, qui permettait de transcrire des textes de façon légèrement plus rapide que le système manuel, et d'inclure des photographies.

Quasi-miraculeusement, par l'intermédiaire de ces procédés merveilleusement simples, les Europains parvenaient à communiquer, laisser des traces, des journaux intimes, des blogs, des cartes postales du front, des affiches électorales, des bulletins de vote, des cartes d'électeur, des photos officielles du chef de l'état, des cartes d'identité infalsifiables, qui étaient, ma foi, fort utiles pour Nicolas de Sarcotie dans l'exercice des pouvoirs qui lui étaient conférés.

Lequel Nicolas de Sarcotie n'entreprenait d'ailleurs jamais à son jogging (conférence de presse massive itinérante) sans se munir d'un bâton sale, dans l'éventualité où une tranche d'arbre lui serait présentée par une électrice enthousiaste.

L'action de laisser sa marque contre un arbre était appelé *dédicace*, et le prince-démocrate s'y adonnait avec un plaisir manifeste et attendrissant.