Quintescenteries

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mardi 24 juillet 2007

La médiatrice

Au temps de Nicolas de Sarcotie, on avait souvent recours aux femmes en diplomatie, parce qu'elles pouvaient déployer des compétences dont les hommes ne disposaient pas.

Bien que la plupart celles-ci aient la réputation paradoxale de manquer de patience, d'être frivoles, superficielles, vénales, égocentriques, sottes, gourdes et maladroites, certaines, de plus haute extraction et de meilleure éducation, faisaient montre de qualités exactement inverses.

La conjointe de Nicolas de Sarcotie, par exemple, la subtile Cécellela de Sarcotie faisait justement partie de ces femmes d'exception à qui on pouvait vraiment tout demander, et qui accomplissait les tâches les plus totalement impossibles avec tact, discrétion et diplomatie, en conservant en toute circonstance cette élégance si particulière des Europaines de l'époque qui portaient du Dior ou du Chanel ou du déodorant.

Naturellement, pour garder la discrétion indispensable à toute négociation et préserver l'anonymat de Nicolas de Sarcotie, aucune mission formelle n'était confiée à Cécellela de Sarcotie, qui ne déplaçait officiellement les avions ministériels que pour la visite humanitaire de pauvres dans des trous-du-cul-du-monde.

Personne ne se doutait de rien.

Si elle ou un de ses hommes était venu à être pris, le gouvernement aurait nié être au courant de ses agissements, cette bande s'autodétruira dans vingt secondes.

Nicolas de Sarcotie, qui lui aussi raffolait de ses prestations lorqu'il avait les moyens de se les offrir, n'hésitait pourtant jamais à se séparer d'elle temporairement quand c'était nécessaire pour satisfaire le besoin urgent d'un hôte de marque ou d'un interlocuteur impliqué dans des négociations difficiles.

Cécellela de Sarcotie pouvait en outre accomplir des merveilles lorsqu'on lui confiait une carte de paiement avec son code (cette activité étant métaphoriquement désignée par le terme de "frais de bouche", expression faisant vraisemblablement allusion à son dentifrice qui était choisi avec le plus grand soin).

Ainsi, on raconte que Monhomard de Queldéfi, un célèbre fabricant d'huile de pétrole avec qui Europe se disputait avec âpreté des employées très réputées de Bulgari (un célèbre bijoutier de l'époque), avait renoncé à ses prétentions pour une bouchée de pain (complet, certes), après l'avoir croisée une seule fois chez lui, dans son jardin, totalement par hasard.

Il s'était contenté en contrepartie, à ce qu'on dit, de la promesse que Nicolas de Sarcotie lui rendrait plus tard une nouvelle visite strictement protocolaire, accompagné de sa négociatrice favorite.

C'est dire si sa conversation cultivée et intéressante était appréciée.

On n'a en revanche pas de certitude quant au rôle joué dans ces négociations par Claude des Géants, un secrétaire que Nicolas de Sarcotie avait commis à accompagnement de cette dame lorsqu'il avait des absences, et qui avait drôlement intérêt à ne la lâcher sous aucun prétexte.

Compte tenu des habitudes d'archivage de l'époque, les historiens présument qu'il prenait des photos et des vidéos des négociations, pour permettre au prince-démocrate de se les étudier à loisir, dans l'intimité de son bureau.

Grâce à cet appui tendre et fidèle, qu'il récompensait en virant avec libéralité des directeurs de journaux insolents, Nicolas de Sarcotie retirait un prestige immense et justifié des triomphes obtenus par la sueur de sa compagne et l'argent des contribuables Europains.

vendredi 6 juillet 2007

Chacun son tour

Au temps de Nicolas de Sarcotie, chaque été, on pratiquait le Tour.

C'était une coutume surprenante qui consistait pour certains Europains venus du monde entier à tourner en rond au moment précis où la plupart des autres se déplaçaient linéairement vers la Méditerranée (lorsqu'ils aimaient le chaud) ou vers la mer de Ollande (lorsqu'ils aimaient les débats participatifs chaudement emmitouflés dans la toile cirée).

L'utilité d'un tel comportement est encore le sujet de débats enflammés au sein de la communauté scientifique.

Elle semblait ne pas avoir de sens, mais marquait souvent une tendance vers le sens des aiguilles d'une montre, quand ce n'était pas l'inverse.

Une théorie intéressante proposée au sujet de cette pratique est fondée sur l'observation que les individus concernés présentaient tous des similarités remarquables, telles que le fait qu'ils étaient tous de sexe masculin, qu'ils avaient tous les jambes épilées (pour le maillot, on n'a pas de certitude), etc.

Cette théorie suggère que ces sujets étaient des volontaires d'expérimentations scientifiques, utilisés pour l'étude des effets secondaires de certains médicaments.

C'est probablement grâce à de tels héros dévoués et anonymes que nous devons la mise au point de l'EPO, des anabolisants pour cheval, de la pilule du lendemain, de la crème délassante contre les hémorroïdes (goût menthol et goût fraise), des eaux minérales qui font le pipi bleu ou rose fluo.

Ces médicaments présentaient vraisemblablement l'effet secondaire indésirable de perturber la synchronisation de leurs trois neurones (latéral droit, latéral gauche et latéral antérieur), ainsi que leur sens de l'équilibre, ce qui explique leur trajectoire erratique.

La société de cette époque consentait cependant des efforts importants pour faciliter la vie et déplacement de ces patients, dont on respectait le dévouement et le désintéressement.

On les équipait de casaques colorées très visibles pour les reconnaitre de loin et éviter les accidents en cas de rencontre avec des gens normaux (ce qui arrivait quelquefois).

Ils étaient toujours accompagnés dans leurs déplacements de motards virevoltants autorisés à actionner leur klaxon autant qu'ils le souhaitaient en passant devant les filles.

Les Europains navrés se rassemblaient au bord des routes pour contempler le cortège solennel et témoigner de leur soutien.

Les moments les plus pathétiques de ces migrations étaient le passage des montagnes, qu'ils s'acharnaient à grimper dans le but principal de les redescendre ensuite - objectif honorable en soi, mais qui les laissait dans un état d'épuisement qui arrachait des baillements à la foule.

Les firmes phamaceutiques accompagnaient les processions et distribuaient avec libéralité des échantillons de leurs produits aux passants, qui se trouvaient ainsi légèrement consolés.

jeudi 5 juillet 2007

L'unique t'amère

Au temps de Nicolas de Sarcotie, la pensée était unique, ce qui était bien pratique pour les Europains.

Une pensée unique présentait en effet des avantages énormes pour les citoyens de cette époque.

D'abord, elle permettait de préserver une rigoureuse égalité intellectuelle entre les individus, indépendamment des limitations de leur intelligence, de leur manque d'éducation, de leur milieu social, etc.

Grâce à la pensée unique, le sombre crétin pouvait, à travers un raisonnement sophistiqué emprunté au ver de farine, parvenir aux mêmes conclusions que l'ENArque le plus sublime, ou que le meilleur d'entre nous en calcul intégral, en suivant un cheminement intellectuel différent, mais tout aussi efficace.

La gauche pouvait penser comme la droite, agrandissant ainsi la quadrature du cercle de ses amis de trente ans, et offrant des possibilités quasi-infinies d'étendre le gouvernement lorsque c'était nécessaire ou amusant.

Les jeunes pouvaient penser comme des vieux, résolvant du même coup tous les conflits de génération.

En ces temps de rigueur budgétaire, tout cela représentait une formidable écomie d'énergie cérébrale, qui était ainsi rendue disponible pour Caca-Collé.

Cette compagnie humaniste, comme n'importe laquelle des autres marques de lessive intellectuelle, faisait une consommation extraordinaire de neurones, au point qu'une pénurie chronique sévissait, et que le gouvernement étudiait sérieusement l'opportunité d'en faire venir d'autres planètes (ce qui aurait été vain, nous le savons aujourd'hui, car les standards des connexions électriques sont différents. Mais à l'époque, à l'intérieur du schéma de pensée unique, cela paraissait une solution idéale).

De plus, la pensée unique était compatible avec une foule de projets d'abrutissement systématique qui étaient mis en oeuvre à cette époque de bouillonnement intellectuel, qu'ils soient individuels par l'initiative des têteurs de chichon invertébrés, ou collectifs, au travers des programmes d'éducation télé-réels des fondations humanitaires TF1 et M6, agréées par l'Education Nationale.

En effet, il faut se rappeler que la programmation des cerveaux était confiée à une administration spéciale, appelée Education Nationale, chargée de leur formatage de bas niveau, de l'installation du système d'exploitation et des programmes d'application.

Ses responsabilités supposaient également de garantir la conformité rigoureuse des programmes avec la licence d'utilisation (dans le légitime souci de préserver la propriété intellectuelle de ceux qui auraient pu, par recherche dissidente, imaginer des idées différentes).

L'administration témoignait ainsi du même coup du souci qu'elle avait alors de respecter l'indifférence.

Les historiens estiment aujourd'hui qu'au moins 80% d'une classe d'âge aboutissaient au fond du bac, dispositif dans lequel on recueillait, semble-t-il, les jeunes Europains ayant obtenu un formatage à l'identique.

Sur la plupart des sujets, c'était naturellement Nicolas de Sarcotie lui-même qui définissait la juste pensée, par son discours ingénieux et indiscutable, mais surtout par son comportement exemplaire en toute circonstance.

Il s'astreignait à une rigoureuse discipline pour avoir des idées sur tout, ce qui était rassurant et réconfortant pour tous ceux qui avaient des difficultés à réfléchir par eux-mêmes, et avait mis en place de nombreux relais chargés de répandre et traduire sa pensée en termes accessibles et faciles à retenir par tous pour la vie de tous les jours.

Le principal d'entre ces relais était naturellement le premier ministre, Fransois des Filous.

Un espace d'expression était également ouvert à la pensée unique d'origine privée, qui assumait ainsi un rôle très utile de laboratoire pour l'élaboration de la pensée unique gouvernementale.

A l'époque de Nicolas de Sarcotie, la pensée unique la plus répandue avait pour sujet principal la protection de l'environnement (qui remplaçait l'ancien vocable un peu trop politiquement orienté d'écologie).

Le grand champion de cette pensée unique était le génial et légendaire âne altruiste de Bertrans, équidé équitable qui prenait tout le monde de haut, dont la vénérable chevelure blanche et la digne moustache était connue de chacun.

On remarquera d'ailleurs que curieusement que les grands maîtres de cette pensée unique particulière étaient souvent munis de moustaches, en marque de leur dignité.

L'âne altruiste de Bertrans ne se départissait jamais de son fidèle écuyer Nicolas du Culot, qui avait failli devenir prince-démocrate lui-même, mais qui avait renoncé après avoir malencontreusement réfléchi par lui-même sur la vanité considérable de cette ambition.

Grâces aux techniques et aux méthodes de la pensée unique, il avait été possible de ramener les causes et les effets de la protection de l'environnement au sujet unique du réchauffement de la planète, identifié comme cause nécessaire et suffisante à la pluie en été, au soleil en hiver, aux bébés phoques abattus pour leur fourrure, à l'abattage des arbres tropicaux, à l'urbanisation sauvage, au non-respect de la loi littorale par les paillottes corses, à la disparition des thons de Méditerranée au profit des pêcheries japonaises, à la diffusion des OGM dans le roquefort de José de Beauvais, à l'épuisement des puits de pétrole, à la pollution des rivières de Guyane par le mercure des orpailleurs clandestins, aux averses sur le tournoi de Wimbledon et à la noyade des immigrés clandestins au large de la Lybie.

Ainsi, grâce à la simplicité géniale d'une seule pensée, originale comme on n'en avait plus vu depuis la théorie de la relativité générale, on parvenait à unifier l'explication de toutes les énigmes de l'univers, ce qui permettait de se coucher l'esprit en paix.