Quintescenteries

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jeudi 30 juillet 2009

La grenouille qui voulait vivre

C'était une grenouille qui voulait vivre.

Vous ne m'avez pas encore dit quels étaient vos goûts, en matière de grenouille, mais vous auriez adoré celle-ci.

Une belle grenouille rousse, mouchetée de brun, avec un ventre jaune pâle.
De beaux yeux globuleux, immenses, jaunes d'or, piquetés de noir, qui vous regardaient avec une intensité... (enfin, quand vous bougiez, car elle voyait surtout le mouvement).

Des petites pattes délicates, et des cuisses.
Ah, des cuisses !
Les plus belles cuisses qu'on ait vu sur une grenouille depuis plusieurs saisons.
Des cuisses qui faisaient des envieux et des jalouses.

Elle aimait le soleil, qui jouait entre les branches, qu'elle regardait depuis un couvert de feuilles rousses.

Elle aimait la pluie, qui tapottait sur le sous-bois, et répandait une agréable fraîcheur.

L'hiver, elle hibernait, sous un tas de feuilles.

Au printemps, réveillée par la tiédeur, elle émergeait, éblouie par le soleil, grignottait une mouche ou un ver, et se mettait en voyage, répondant à un appel.
Elle ne savait pas encore quoi.
Elle ne savait pas encore qui.
Elle ne savait même pas où.
Elle avançait, trainant son ventre sur les feuilles, avalant un ver ou une mouche, au hasard des rencontres.
La vie était si douce.

Elle traversait la route, et finissait par arriver au bord d'une mare.
Et c'était comme le centre de l'univers.
La mer promise.
Et par dessus tout, la compagnie était charmante.
Des petits mâles énergiques, prêts à se chamailler pour ses faveurs.
Ils passaient beaucoup de temps à demander "Quoi ?", comme des gamins.
Par dérision, elle répondait "Quoi, quoi ?".
Forcément, elle finissait par se laisser séduire.
Son préféré (ou quelques-uns d'entre eux) s'agrippaient à son dos, et elle pouvait lâcher tous ces oeufs qui lui faisaient ce gros ventre si sexy.
Elle collait la grappe d'oeufs sous la feuille d'une plante aquatique, et c'était fini.
Elle se sentait... accomplie.

Alors, elle repassait la route, et retournait au frais, dans son creux de feuilles.

Une fois, elle aperçut deux gros yeux blanc-bleu fascinants qui la regardaient au loin, sur la route.

Et elle regardait les gros yeux.
Et les gros yeux la regardaient.
Et elle regardait les gros yeux.
Et les gros yeux la regardaient.

Et les gros yeux blanc-bleu se rapprochaient en faisant un ronronnement sympathique.

Alors, pour engager la conversation, la grenouille dit "Quoi ?
Et toutes les grenouilles alentour répondirent: Quoi, quoi ?
Et les gros yeux se rapprochaient.

Et la grenouille répéta: Quoi ?
Et toutes les grenouilles alentour répondirent: Quoi, quoi ?
Et les gros yeux se rapprochaient.

Et la grenouille répéta: Quoi ?
Et toutes les grenouilles alentour répondirent: Quoi, quoi ?
Et les gros yeux se rapprochaient.

Et la grenouille répéta: Quoi ?"
Et puis, plus rien.

vendredi 17 juillet 2009

La mouche qui voulait vivre

C'était une mouche qui voulait vivre.

Je ne sais pas quel est votre genre, en matière de mouche, mais tous ceux qui l'avaient rencontrée la trouvaient adorable.
Une belle mouche bleue.
Ou verte, ça dépendait de l'angle sous lequel vous la regardiez.
Avec des grandes soies noires sur le thorax.
Et pas un gramme de cellulite.

Elle voulait juste vivre tout une vie de mouche toute simple.
Voler au soleil, profiter de la vie.
Voir des fleurs, respirer.
Faire des rencontres.
Taquiner des vaches et des chevaux.

Mais ce qu'elle adorait par dessus tout, c'était faire des gueuletons avec des copines.
Trouver une belle bouse odorante, que personne n'avait encore découverte.
Une bouse bien fraîche, qui commençait juste à sécher au soleil, avec une croûte fine et craquante, et un coeur bien juteux et goûteux.
Elle pompait un peu de salive par sa trompe, pour ramollir la croûte, et elle aspirait le nectar qui les plongeait toutes dans l'extase.
De plus, ces orgies insensées leur donnait des idées.
Il n'était pas rare qu'elle se retrouve avec un (ou plusieurs) à mâles sur le dos au milieu de sa dégustation.
Mais elle ne se laissait pas distraire pour autant. C'était trop bon.

Et puis elle sentait son ventre se gonfler d'oeufs.
Elle était plus lourde, et en même temps plus excitée.
Survoltée.
Elle cherchait quelque chose, sans savoir précisément de quoi il s'agissait.
Un endroit où elle pourrait trouver une délivrance.
Elle faisait un bruit monstrueux en volant.
Elle était le tonnerre.

Puis un jour, elle s'est posée, pile devant le nez d'une grenouille.
Et la grenouille la regardait.
Et elle regardait la grenouille.
Et la grenouille la regardait.
Et elle regardait la grenouille.
Et puis plus rien.