Quintescenteries

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 14 mars 2007

En attendant la mission

Il est dit que la reine envoya ses armées à la garde des portes. Et que les portes étaient dispersées dans tout le royaume. Et que le souvenir en était oublié des hommes.Et que de seules les bibliothèques royales conservaient la trace de leur emplacement.


L'annonce de la reine avait atterré les invités.

Malgré les tables croulant sous les victuailles, et malgré le talent et la virtuosité des cuisiniers de la cour, le dîner, auquel on faisait honneur par déférence envers la reine ne suscitait plus guère d'enthousiasme, à l'exception d'Ar Valafenn, dont la gourmandise était aussi légendaire qu'imperturbable.

Son appétit réjouissant était le seul spectacle qui parvenait à arracher un sourire indulgent aux plus inquiets.

La reine avait interrompu son discours pour inviter les convives à partager sa table.

Selon l'usage en vigueur à la cour, qui résultaient de prescriptions religieuses très anciennes, les cérémonies protocolaires se poursuivaient pendant le repas.

La reine se préparait à distribuer les missions aux chefs de ses armées, réunis de toutes les provinces.

Ph&-no chipottait ce qu'on lui avait servi, qu'elle adorait d'habitude.

Mais cette fois, elle avait conscience que l'heure de grandes oeuvres était arrivée, et elle pensait à sa pauvre "Danse des Sept Voiles" blessée au port.

Voilà que l'opportunité de sa vie s'apprêtait à lui être proposée, et elle se retrouvait hors d'état d'en assumer la responsabilité.

Elle en aurait pleuré.

La Danse des sept voiles était assez modeste, en comparaison de beaucoup de navires de guerre de la flotte, mais son ancienneté et son expérience la vouait à un commandement majeur, qu'elle briguait depuis l'obtention de son brevet de la marine royale.

Et jusqu'à ce dernier voyage, ses états de service n'étaient qu'une suite ininterrompue d'éloges de la part de ses supérieurs.

Elle se savait promise à la plus brillante des carrières.

Elle attendait l'appel de son nom dans une certaine inquiétude, anticipant l'instant d'humiliation où elle serait obligée de décliner la demande de la souveraine.

Cependant, un détail l'étonnait: Les princes rassemblés étaient si nombreux qu'il était impossible de les faire défiler tous devant la reine pour leur attribuer à chacun une mission, comme il était d'usage au début d'une campagne.

Elle comprit qu'au lieu de cela, on convoquait devant la reine les princes de plus haut rang protocolaire, en leur donnant la charge d'attribuer à chacun la responsabilité et l'organisation de la défense d'une des portes, en attribuant à leur discrétion des fonctions à leurs vassaux.

Ph&-no ne savait pas que la reine avait été très réticente à cette solution, qui était certes scrupuleusement respectueuse de l'inamovible étiquette protocolaire, mais dont elle savait qu'elle était une cause d'irrémédiable enlisement bureaucratique, les attributions de responsabilités se faisant davantage au gré d'intérêts politiques et d'alliances qu'en fonction de critères stratégiques et tactiques.

Elle avait donc consenti à procéder ainsi que le protocole l'exigeait, et que les ministres le conseillaient, mais d'envoyer en mission secrète quelques personnes de confiance, auxquelles elle confierait la véritable mission de protéger le royaume des attaques des forces démoniaques.

Ainsi, le banquet était destiné d'une part à éveiller la vigilance de tous les sujets, et d'autre part à satisfaire l'orgueil et la vanité de la cour.

Ignorante de ce calcul, où elle tenait une certaine place, Ph&-no se morfondait en voyant s'éloigner l'opportunité d'aventures et de gloires auxquelles elle aspirait.

mardi 13 mars 2007

Les démons

Il est dit qu'en ces temps, quatre grandes guerrières furent prises capturées dans les mondes souterrains. Et que malgré tous leurs efforts, nul ne pouvait leur porter assistance. Il est dit que la reine fit venir à sa cour des armées entières, et de nombreux magiciens. Mais aucun ne sut ouvrir la porte des mondes. Il est dit que l'aide leur vint d'un démon mineur, qu'elles capturèrent en ces lieux, et dont elles firent leur esclave. Et lorsque qu'elles ramenèrent le démon avec elles de leur aventure, les grands prêtres furent fort courroucés, car chacun savait qu'on ne peut apprivoiser les démons.


Les démons sont relativement immortels.

Du moins si on les considère d'un point de vue humain.

En tous les cas, la durée de leur existence est considérable, bien que difficile à connaître avec précision, car ils ne tiennent pas de compte précis de leurs années, dans leur monde sans soleil.

On ne sait s'il y a un terme naturel à leur existence, car la plupart finissent par être éliminés au delà d'un certain âge par l'un ou l'autre des douze archi-démons, qui prend ombrage de l'accroissement de leur pouvoir.

A leur sortie de l'œuf, leur taille et leurs pouvoirs sont modestes.

Comme les crabes, ils grossissent toute leur vie, et les plus gros sont les plus anciens et les plus puissants.

Au début de leur existence, leur taille est celle de gnomes, mais au fil des siècles, seuls les gnomes véritables conservent cette taille.

Les gnomes sont d'ailleurs les démons mineurs les plus nombreux.

Les gnomes, comme les autres espèces de démons acquièrent naturellement des pouvoirs en vieillissant.

On ne peut véritablement parler d'âge adulte pour les démons, car ils se reproduisent par magie, et naissent d'œufs directement issus de la terre.

Cependant, il semble qu'ils ne soient réellement capables de procréer qu'après plusieurs siècles de vie (à moins que la préoccupation de leur propre multiplication ne leur vienne qu'après avoir atteint un certain niveau de pouvoir).

Le pouvoir des démons jeunes est limité, inférieur, dans la plupart des cas à celui que peut acquérir un magicien humain moyen au bout d'une vie d'étude.

De plus, à des titres divers selon les espèces, ils sont affectés d'un doute pathologique quand à leur propres capacités, ce qui rend bien souvent leurs pouvoirs inopérants.

Les démons n'ont pas véritablement de structure sociale.

Le seul fait absolument certain, c'est qu'ils obéissent avec terreur aux douze archi-démons primordiaux, dont ils n'osent prononcer le nom.

Les rapports entre les démons sont régis par une sorte de loi du plus fort.

Lorsque la différence de taille entre deux adversaires ne suffit pas à démontrer lequel est le plus fort, ils choisissent généralement de s'entretuer.

Le survivant, s'il en reste un, est présumé avoir raison.

Le nom du démoneau capturé et soumis par maevina et ses compagne ne saurait être prononcé par une gorge humaine.

Selon la convention magique internationale, qui est généralement admise pour transcrire le langage démoniaque, son nom s'écrit WxffrWvll, ce qui signifie littéralement "Ce qui qu'on laisse après", mais dont le sens plus précis est "infecte petite crotte".

Les noms des démons sont attribués par les archi-démons, qui font généralement preuve d'une cruelle ironie.

En raison de leurs pouvoirs magiques, aussi modeste soient-ils souvent, les démons possèdent un avantage considérable sur les humains, et les créatures qui leur sont apparentées.

Dans le monde sous le soleil, seuls les elfes et quelques magiciens humains érudits peuvent rivaliser avec leur pouvoir.

Mais comme tous les êtres de la première création, elfes, trolls et autres fées, la faiblesse des démons réside dans la formidable longueur de leur cycle vital.

Lorsque leur population est décimée après une catastrophe ou une guerre, il faut des siècles pour la reconstituer.

On dit qu'un démon tué ne se remplace jamais.

C'est pourquoi le monde des sept royaumes vivait désormais dans l'oubli des démons, et vaquait à ses propres guerres entre humains.


Les quatre femmes marchaient dans la pénombre, précédées par un démoneau geignard.

L'épée nue de maevina, et les pouvoirs de Luitne et Tarmine suffisait à maintenir en respect WxffrWvll, trop terrifié pour mesurer sa propre force, et qui conduisait les quatre femmes vers une destination connue de lui seul et oubliée de ses maîtres.

jeudi 25 janvier 2007

Le discours de la reine

Princes du royaume de Gondolia, vous êtes réunis en réponse à notre convocation solennelle.

Sachez que dans chacun des sept royaumes, le souverain a convoqué une réunion semblable.

Depuis des millénaires, nous sommes élevés dans la tradition de la prophétie, dont chaque sujet est tenu de se considérer comme un gardien.

Je sais que pour beaucoup, il s'agit d'un conte baroque et pitoresque, et que l'histoire de la fondation des sept royaumes est considérée comme une légende sans fondement.

Je sais que plus personne ne croit guère à l'existance de l'infra-monde et des royaumes souterrains.

Avec le temps, les monstres les plus abominables sont devenus des personnages ridicules dont on s'amuse aux temps de carnaval.

Pourtant, sachez-le, le temps annoncé par la prophétie est venu, et le temps des pires cauchemars est redevenu une réalité.

Les étoiles nous sont défavorables, et il sera bientôt possible d'ouvrir les portes qui nous ont si longtemps isolés du monde d'en-dessous, et dont les clefs nous furent autrefois volées.

La porte au dessus de laquelle a été bâtie le palais, par la volonté de nos ancêtres s'est déjà entrouvertes, et certaines de nos guerrières les plus valeureuses ont été entrainées dans les mondes hideux.

A travers le monde, dans les sept royaumes, sur terre et en mer, des portes semblables sont sur le point de s'ouvrir.

La tâche que nous ont légué les anciens, vous le savez, est de repousser les créatures qui en surgiront, par le fer, le feu et la magie.

Vous pouvez voir à mes côtés les ambassadeurs des six royaumes.

Leurs souverains, et moi-même sommes convenus que chaque porte identifiée dans la prophétie dans chaque royaume doit être retrouvée et munie de la meilleure garde, afin de protéger l'univers des conséquences d'une ouverture.

Je vous ai convoqués pour constituer ces gardes.

Le royaume de Gondolia possède lui-même quatre portes, dont la plus ancienne est située dans la grande crypte du palais.

La prophétie indique qu'une autre porte est localisée dans nos terres îliennes occidentales, au large de la Britannie.

Une autre est dans les marches du sud, en province d'Africale.

La dernière est dans une caverne de nos terres gelées de Septentrionie.

Le grand sénéchal distribuera les lettres de missions à chacun de ceux qui auront l'honneur d'être choisis pour assurer la garde d'une des portes.

La conjonction astrale annoncée par la prophétie sera réalisée à la fin de la prochaine lune.

Dans les semaines qui vont suivre, vous acheverez vos préparatifs de guerre et l'entrainement de vos troupes.

Beaucoup d'entre vous ne reviendront pas.

Certains trouveront leur mort, d'autres connaîtront un sort bien pire.

Je ne doute pas de votre noblesse et de votre courage.

N'oubliez pas que ce qui est en jeu, c'est notre liberté et notre mode de vie dans cet univers.

Le seul autre choix qui nous est proposé, c'est que l'univers dans son entier devienne esclave des monstres les plus odieux.

lundi 8 janvier 2007

Le démoneau

Toutes les torches s'étaient éteintes à l'instant où les quatre femmes avaient franchi la porte.

L'obscurité était totale.

L'air était empesté d'une odeur âcre et soufrée, qui renforçait l'impression d'une présence menaçante.

Maevina portait son épée nue, mais n'osait faire de mouvements avec, de peur de blesser ses compagnes, dont elle sentait la présence auprès d'elle.

"Combien sommes-nous, après tout ? demanda-t-elle finalement. Qui nous a suivies ?

- Je suis, là, ClandestinaRBemba, avec mon épée.

- Nous sommes là aussi, les deux gardiennes, Luitne et Tarmine.

Un grondement inquiétant s'éleva, un peu plus loin, mais ce bruit, qui venait comme une réponse était tellement incongru et inattendu que les quatre femmes ne purent complètement étouffer un éclat de rire. Après tout, il n'était pas inutile de faire tomber la tension.

- Eh bien, gardiennes, poursuivit Maevina, est-ce que par quelque bonheur, votre magie pourrait, nous fournir un peu de lumière ?"

Tarmine prononça une brève incantation, et les torches s'enflammèrent.

Après un bref instant d'éblouissement, les quatre femmes purent enfin examiner l'endroit où elle se trouvaient.

Il s'agissait apparemment d'une salle immense, dont la lueur des torches ne parvenait pas à éclairer les limites.

A en juger par l'aspect grossier du sol, il s'agissait probablement d'une grotte.

A la limite de leur champ de vision, des yeux et des silhouettes indistinctes semblaient se mouvoir.

Ce qui attira immédiatement l'attention des jeunes femmes, c'était un démoneau, à l'épiderme rouge écailleux, assis à peu de distance, haut de quelques pieds à peine.

Luitne, qui était la plus petite des quatre, le dépassait de plus d'une tête.

Son aspect était assez hideux, et son visage au teint verdâtre renforçait l'expression de rage intense qui y était inscrite.

Ses bras courtauds étaient terminés par des sortes de mains, ou de serres, énormes, disproportionnées, qu'il semblait masser douloureusement.

"Eh bien, démon, l'interpella Maevina. Voici plusieurs jours que tu essaies de franchir cette porte, et de pénétrer dans des royaumes qui te sont interdits. Tu as même laissé une de tes griffes de l'autre côté, ajouta-elle en remarquant une patte mutilée. Tu vas nous en rendre raison.

- Te voilà bien insolente, créature, répliqua le démon. Sache que c'est ici le royaume de mon maître, et qu'il n'y tolère aucune intrusion".

Comme Maevina approchait, l'épée nue, suivie par ClandestinaRBemba, le démoneau abandonna toute son arrogance et se mit à glapir misérablement.

"Ne le tuons pas tout de suite, suggéra ClandestinaRBemba. Nous avons besoin d'un guide pour retourner dans notre monde.

A regret, Maevina retint son épée.

- D'accord, mais il nous faut une laisse pour éviter qu'il ne s'échappe.

- J'ai peut-être ce qu'il vous faut, répondit Luitne. Cette corde tressée en crin de licorne devrait faire l'affaire."

A la mention des licornes, le démon se mit à geindre et à pleurer.

"Pas la licorne, suppliait-il. La licorne brûle."

Les quatre femmes n'en eurent cure, et il fut promptement entravé.

Lorsqu'il s'agitait un peu trop, la corde qui était partiellement vivante, se resserrait cruellement, occasionnant visiblement au démon une souffrance intense.

Luitne suggéra: "Je lui en mettrais bien une autre boucle autour des ...

- Ca ne sera pas nécessaire, coupa Maevina. Je pense qu'il se tiendra tranquille. A présent, démon, tu vas nous montrer comment retourner dans notre monde".

Le démoneau sembla se soumettre, et ils se mirent prudemment en route.

Ils n'eurent le temps que de franchir quelques pas.

Soudain, une sorte d'appel retentit.

Le démoneau semblait écrasé de terreur.

Il tirait sur sa laisse, ce qui avait pour effet de l'étrangler davantage.

Face contre terre, il sanglotait:

"Mon maître, mon maître, je suis prisonnier d'odieuses créatures. venez me sauver, mon maître".

Mais l'appel s'était tu.

Un silence menaçant était retombé, haché seulement par les sanglots du démoneau.

Au bout d'un instant, Luitne tira sur la laisse, et la troupe se remit en route.

mardi 12 décembre 2006

Le banquet (première partie): L'arrivée des invités.

Faute de pouvoir pour quiconque en faire davantage pour les guerrières disparues, les préparatifs du banquet solennel s'étaient poursuivis jusqu'au soir.

A présent, l'heure de l'ouverture approchait, et les princes étrangers commençaient à se présenter à la porte d'honneur.

Selon un habitude que peu se souciaient de remettre en question, les équipages se présentaient selon l'ordre de l'importance protocolaire.

Comme souvent, les habitudes s'étaient muées en traditions, puis les traditions en lois ancestrales auxquelles il était devenu presque impossible de déroger sans que quelqu'un y trouvât matière à relever un outrage majeur.

Ainsi vieillissent souvent les grandes civilisations, étouffées par le poids de ce qui faisait autrefois leur force et leur vitalité.

La petite noblesse des nombreux chevaliers, celle que l'on pouvait faire attendre, avait été reçue d'abord.

Il n'était pas d'usage de lui accorder plus d'attention que nécessaire, mais la reine avait soin de veiller à ce que chacun se sentît tout de même investi d'une certaine considération.

Un rafraîchissement léger avait été servi, auquel il n'avait guère été fait honneur, car il était d'usage que l'ont vint saluer avec ostentation les personnalités de rang supérieur qui se présentaient ensuite.

La salle d'apparat se remplissait ainsi progressivement, la petite noblesse à proximité de l'entrée, et du buffet d'accueil, et les personnes de plus haute qualité vers le fond de la salle, près du trône.

Plus encore que le spectacle de l'arrivée des équipages en armes au cours des jours qui précédaient, la vision de cette salle immense, rendue trop petite par cette formidable assemblée de grandes familles faisait prendre conscience de la fabuleuse puissance du royaume.

Maintenant qu'elle s'était introduite au palais et quelle avait franchi les contrôles les plus sévères, Miladee se découvrait - non sans surprise - presque complètement libre de ses mouvements.

Elle prenait seulement soin d'éviter de croiser la route du fameux sergent d'armes avec lequel elle avait eu maille à partir.

D'une part, elle tenait à préserver son anonymat et sa clandestinité.

Et d'autre part, doutait de sa propre réaction dans l'éventualité où elle se trouverait confrontée à l'infâme individu.

Elle craignait de ne pourvoir s'empêcher de lui sauter à la gorge - ou à quelque autre organe fragile de sa personne, ce qui aurait à coup sûr compromis sa couverture et son reportage.

A présent, elle s'était fait oublier dans une galerie en mezzanine, au dessus de la salle de réception, dont les tentures et les recoins permettaient d'observer tout à loisir sans se faire remarquer.

Elle était peu habituée aux ors et aux fastes du palais, dont elle n'avait entendu parler qu'à travers des revues spécialisées, qui en montraient régulièrement des philosogrammes, et dont elle était une lectrice assidue - et un peu honteuse.

Elle ne manquait jamais un exemplaire de son magazine "Voyez-vous ça", qu'elle achetait invariablement au numéro sans oser s'avouer à elle même sa dépendance pour enfin souscrire un abonnement.

L'élégance et le luxe extraordinaire de ce qu'elle voyait pour la première fois en vrai emportait son imagination.

Car bien que convoqués à une austère assemblée guerrière, aucun des princes invités n'avait manqué de faire la fastueuse démonstration de la dignité de son rang.

Sans les avoir jamais rencontrés, Miladee se surprenait à murmurer, enthousiaste, les noms et les titres de tous ceux qu'elle reconnaissait.

jeudi 30 novembre 2006

La recherche

Autour de la porte, les laborateurs technologiens s'affairaient, sous les ordres d'une Lili impatiente.
Ils achevaient de mettre en batterie un grand révélateur, une version agrandie et perfectionnée du révélateur philosophal portatif dont Lili ne se séparait jamais.

L'installation dura encore de longues minutes.
Lili marchait de long en large, enjambant les câbles.
Elle avait proposé à la reine d'effectuer un sondage philosophal de la porte pour essayer de repérer la présence des guerrières disparues.

Utilisés d'une manière appropriée, les révélateurs permettaient d'observer au-delà d'un mur ou d'une cloison légère.
Cette observation n'avait jamais été tentée sur la porte, mais c'était l'occasion d'essayer.
La reine avait accepté la proposition avec empressement.
Sur ce grand modèle, le cadran cerclé de cuivre n'était pas intégré à l'appareil, mais était inséré sur une console, légèrement à l'écart.

Il émettait une lumière jaunâtre, qui éclairait le visage du laborateur.
Des observations aussi précises ne pouvaient être effectuées que par des laborateurs spécialisés, et Lili ne pouvait les effectuer elle-même.

Elle devait réfréner son envie de harceler les laborateurs pour les inciter à se dépêcher.
Elle savait qu'ils donnaient le maximum.
Inutile de les gêner en leur communiquant son impatience.
Autour de la scène, maintenue à distance par un cordon de soldats, une foule de curieux mêlant princes étrangers et serviteurs se pressait.

Au premier rang, de cette assistance, Ar Valafenn rongeait son frein.
Depuis l'annonce de la disparition, il ne décolérait pas.
Il accompagnait Maevina et ClandestinaRBemba depuis leur arrivée, partageant leur ennui, et voilà qu'il avait suffi qu'il s'éloigne un instant pour qu'elles disparaissent dans une aventure.

Entre ses dents, il maudissait en armoricien et dans toutes les variantes du saxangloyen l'urgence impérieuse qui lui avait suggéré un moment de retraite et d'isolement.

Mais pour le moment, il n'avait rien d'autre à faire qu'à attendre, en serrant le poing sur le pommeau de son épée.
Dans son agitation, il pourvoyait avec libéralité ses voisins en coups de coude et en ruades.
Mais ceux-ci, ayant remarqué les insignes de son rang s'efforçaient de l'ignorer.
Il finit tout de même par piétiner sans beaucoup d'égards les pieds de sa voisine.
Miladee, qui avait profité de la cohue pour se glisser au premier rang et reprendre sa pêche aux informations n'osa pas protester.

Elle se contenta de mettre un peu d'espace entre ses membres meurtris et l'énergumène en jupe.
Elle n'osait pas sortir son calepin pour prendre des notes, mais ne perdait pas une miette des événements observant tout autant les spectateurs que le spectacle.

Assurément, aucun journaliste de la cité ne pourrait prétendre avoir une meilleure source sur ce qui se passait ce soir-là.

Son article promettait de rester légendaire.

Enfin, le laborateur devant le cadran annonça que la machine était prête, et que l'observation commençait.
La foule s'était tue, mais ne parvenait pas à saisir la conversation échangée à voix basse entre Lili et l'opérateur.
Finalement, le ton de la conversation monta un peu, et les curieux les plus proches parvinrent à en saisir quelques bribes.

"Une cavité, la belle affaire, s'impatientait Lili, mais de quelles dimensions ? Voyez-vous quelqu'un ou quelque chose d'autre ?

- Une grande salle, c'est tout. Les limites sont hors de la portée de l'observation. Et il y a une torche éteinte près de la porte.

- Elles n'ont donc pas pensé à rester près de l'ouverture! s'agaça Lili.
- Elles sont probablement parties trouver un autre passage. Ou alors..."
Les deux technologiens n'eurent pas besoin d'en dire davantage.
La foule qui s'était tenue calme jusque là se remit à discuter avec animation, disant son inquiétude et sa résignation.
Mais bientôt, des cris s'élevèrent, réclamant le silence, et la rumeur s'apaisa.
Lili poursuivait:
"Eh bien, si l'observation de la salle ne nous révèle rien, examinons la porte. Voyez-vous quelque chose de son mécanisme ?"

Le laborateur s'affaira un instant, modifiant des réglages.
"Il n'y a pas de mécanisme, Madame. Seulement un bardage de fer, comme de ce côté, mais à peu près arraché par la créature qui voulait passer.

- Alors, s'exclama Lili, préoccupée, c'est que le verrou de cette porte doit être de nature magique".
Elle n'en dit pas plus, mais dans l'assistance, chacun compris que l'art des technologiens serait impuissant à ouvrir cette porte-là.

mardi 28 novembre 2006

Le rassemblement

Lorsque l'appel retentit, Maevina et ClandestinaRBemba devisaient tranquillement dans un des jardins du palais.

L'après-midi n'en finissait pas, et le véritable spectacle - quand on n'était pas concerné par les préparatifs de la réception du soir - c'étaient les suites des princes convoqués qui continuaient d'arriver sans discontinuer.

Puis, il y eut cette sorte de trompe.

La sonnerie en elle-même était assez banale, et elle n'y eussent guère prêté attention sans la soudaine folie apparente qui s'empara soudain du personnel du palais.

Alors que les visiteurs étrangers se regardaient, interdits, les serviteurs et les soldats s'étaient mis à courir dans tous les sens, avec détermination, vers un but qui semblait leur avoir été assigné à l'avance.

Les deux jeunes femmes échangèrent un regard amusé en voyant passer un sergent rougeaud et transpirant qui essayait maladroitement de reboutonner ses chausses tout en courant.

"Eh bien, en voici un qui a été interrompu au plus mauvais moment ! remarqua ClandestinaRBemba.

- En effet, répondit Maevina, réjouie. On dirait qu'une bonne occasion a été perdue !"

ClandestinaRBemba attrapa au passage le bras d'un adolescent en livrée de page.

"Ou courrez-vous donc tous de la sorte, mon ami ? demanda-t-elle, un peu ironiquement.

- C'est l'alerte, Madame."

- L'alerte ?

Comme ClandestinaRBemba n'avait pas l'air de comprendre, il précisa:

- L'alerte de la porte. Tout le monde doit courir à son poste."

Sans laisser à la jeune femme le temps de le questionner davantage, il libéra son bras, et disparut.

En quelques minutes, l'ensemble de la place se vida de tous les gens du palais, laissant les invités et leur serviteurs ébahis et muets.

ClandestinaRBemba fut la première à se ressaisir.

"Il faut que j'en aie le cœur net, affirma-t-elle. Je veux savoir ce qui se passe".

Entraînant Maevina à sa suite, elle suivit un traînard empêtré dans ses armes.

Les soldat, apparemment, convergeaient vers un endroit mystérieux, au cœur du palais.

Toujours suivant le soldat maladroit, les jeunes femmes débouchèrent dans une vaste salle.

Sans l'avoir jamais vue auparavant, elles reconnurent immédiatement la célèbre salle de la porte, dont parlaient les légendes.

Elles étaient interloquées: On en parlait si souvent sans jamais la voir, dans des récits contradictoires, que comme tout le monde, elles avaient fini par douter de son existence.

En fait de porte, les soldats étaient rassemblés autour d'un puits fermé, armé d'un bardage de fer.

Les doigts crispés sur leurs épées, bien en apparence rien ne soit en train de se passer, ils n'en menaient pas large.

Un pas devant les hommes, Maevina reconnut les gardiennes, Tarmine et Luitne, en costume de cérémonie, munies des bijoux rituels et du grand bâton magique.

Maevina et ClandestinaRBemba s'approchèrent.

Les soldats ne se firent pas prier pour les laisser passer en avant.

Il y eut soudain un bruit étrange.

Pas très puissant, comme étouffé, mais horripilant, comme un ongle qui crisse sur un tableau.

La porte sembla se gonfler comme sous une énorme pression, puis la porte se souleva carrément, déformant les brides de fer.

Surmontant leur angoisse, les doigts crispés sur leur bâton, les gardiennes, qui avaient déjà vécu un événement semblable entreprirent les incantations prévues par les rites.

Une main ou une patte, griffue, noire, hideuse, se glissa par l'entrebâillement, essayant d'agrandir l'ouverture et d'agripper ce qui se trouvait à portée.

Les soldats reculèrent d'un pas, mais résistèrent à la tentation de prendre leurs jambes à leur cou.

ClandestinaRBemba dégaina son épée, Maevina sur ses talons.

Elle porta à coup à la patte noire, dont se mit aussitôt à couler un sang noir et fétide.

Un hurlement sinistre s'éleva, et la patte disparut.

La porte resta entrebâillée, mais plus rien ne semblait vouloir en sortir pour le moment.

Maevina approcha une torche du puis, essaya de scruter l'intérieur.

Elle jeta la torche à l'intérieur, qui grésilla un moment, avant de disparaître.

Maevina échangea un regard avec ClandestinaRBemba.

"Mon épée a encore soif, répondit celle-ci à la question muette.

- Allons-y, alors. Enfin un peu d'action", conclut Maevina.

Elle s'engagea dans l'ouverture, aussitôt suivie par sa compagne.

Les gardiennes se regardèrent, indécises.

Mais elles étaient encore habitées par la culpabilité de leur aventure précédente.

Elles finirent par se décider, et suivirent à leur tour.

Elles n'eurent pas plus tôt franchi la porte que celle-ci se referma, dans un craquement énorme.

lundi 27 novembre 2006

Le rire du sergent

Miladee essayait d'avoir l'air naturel.

Ne pas dévisager les gens.

Ne pas avoir le regard fuyant.

Le plus simple, c'était d'avoir l'air occupé, en faisant mine de transporter un objet quelconque, en rapport avec le déguisement de servante qu'elle avait adopté.

Heureusement, tout le monde avait l'air très occupé et un peu perdu, et le palais grouillait de serviteurs accompagnant les princes étrangers, et une étrangère de plus n'attirait guère l'attention.

Son Pass Multizone à empreinte philosophale était en évidence à son cou.

Jusque là, il lui avait permis de passer tous les contrôles sans encombre.

Mais ce n'était pas son empreinte qui était sur le Pass.

Son grand cousin Humphrey lui avait prêté le sien, assez à contrecœur.

En réalité, le cousin Humphrey risquait de gros ennuis si elle se faisait prendre, (pour ne pas parler de ceux qu'elle encourait elle-même).

La sanction habituelle pour ce genre de délit était une sévère bastonnade, un essorillement éventuel (pour ceux qui avaient encore leurs oreilles), et, évidemment, un bannissement définitif du service du château.

Cette dernière sanction était certainement la plus dissuasive, car un service au palais, malgré sa dureté et l'exigence des contremaîtres, fournissait l'assurance d'un salaire raisonnable et régulier.

Et les temps étaient durs pour le peuple.

Mais, le cousin Humphrey ne pouvait rien refuser à Miladee, depuis une sale affaire assez ancienne, une histoire de fille, bien sûr, Humphrey ne tenait pas du tout à voir ébruiter.

A aucun prix.

Elle le tenait, et savait en tirer partie quand c'était nécessaire.

Justement, c'était nécessaire.

Elle sentait que ce qui était en train de se passer au palais était une affaire énorme, suffisante pour faire réellement démarrer sa carrière de journaliste.

Et que cela justifiait la prise de quelques risques.

Elle avait besoin de s'approcher des lieux intéressants.

Pas forcément les salles de conseil, forcément trop bien gardées, mais des foyers d'officiers, par exemple, là où on serait un peu informé et où la méfiance serait un peu relâchée.

Miladee avait confiance en son talent de souris fureteuse.

Elle prit au hasard un couloir désert (elle avait du mal à croire qu'il puisse encore en rester dans la ruche bourdonnante qu'était devenu le château).

Elle parvint assez vite à se perdre, mais ne s'en souciait pas trop, car elle laissait au bas des murs des traces imperceptibles de son passage, à l'aide d'un morceau de fusain, qui lui permettraient de retrouver son chemin.

Elle entendit soudain des hommes marchant derrière elle et pressa le pas.

Au détour d'un couloir, elle se trouva nez-à-nez avec un sergent, à l'air peu commode.

Impossible de faire demi-tour.

Miladee sentait ses genoux se dérober sous elle.

Heureusement le sergent prit l'initiative de la conversation:

"Mais nom de Dieu, qu'est-ce tu fous ici, toi ? s'exclama-t-il.

Comme Miladee ne trouvait quoi répondre, il poursuivit:

"Nom de Dieu, tu n'as rien à foutre ici. Qui est ton seigneur ? Tu comprends notre langue ?

- Oui, monsieur, je...

- A la bonne heure ! Montre-moi donc ce Pass".

Et joignant le geste à la parole, il tira sans ménagements sur le cordon qui entourait le cou de Miladee.

Il glissa le triangle de caraméline dans le lecteur philosophal qu'il avait empoigné.

Ses sourcils se soulevèrent d'un pouce, ouvrit la bouche, la referma, et réfléchit un instant.

Miladee s'attendait à voir sa supercherie démasquée, et sa dernière heure arriver, mais contre toute attente, l'homme sembla se radoucir.

Il lui rendit son Pass avec une sollicitude inattendue.

"Eh bien, jeune fille, vous ne devriez pas circuler dans cette partie du palais. Venez avec moi, je vais vous reconduire".

Miladee, hésitait, mais elle n'avait pas vraiment le choix, et le sergent l'avait empoignée fermement par le bras.

Il l'entraîna à travers des couloirs inconnus.

Cette fois, Miladee était complètement désorientée.

Elle ne savait depuis combien de temps elle marchait ainsi, mi-tirée, mi-portée.

Finalement, le sergent s'arrêta dans un couloir désert.

"Voilà, ici, nous serons bien tranquilles. Tu seras bien sage, n'est-ce pas ?"

Sans attendre les dénégations de Miladee, le sergent entreprit de trousser son jupon de servante.

L'occasion était trop belle: une fille plutôt bien faite, en situation irrégulière, elle ne viendrait jamais se plaindre...

Miladee, de son côté, tint à élever une protestation solennelle, mais, conscient des enjeux de la situation, le sergent se disposa à n'en tenir aucun compte.

Miladee, hurlant en vain de rage et de désespoir, essayait de repousser l'homme, suant, rougeaud, excité par la marche.

"C'est ça, gueule, ma belle, ricanait-il. Ici, il n'y a que des collègues à moi. Ils vont venir nous filer un coup de main"

Soudain, une sorte d'appel retentit, comme une sonnerie.

Miladee, qui avait la tête ailleurs, l'entendit à peine.

Le sergent, lui, avait l'air pétrifié.

Il jeta un bref coup d'œil, hébété, à la jeune fille, puis se volatilisa en courant, répondant à l'appel.

Miladee, stupéfaite, se demandait si elle devait pleurer ou rire.

Elle avait mal partout.

Ses jambes ne la portaient plus.

Elle réussit à faire un pas, puis un autre, et se mit à courir de toutes ses forces, sans but, à l'opposé du couloir où le sergent avait disparu.

mercredi 15 novembre 2006

Le rigolarium

Cette fois, la reine était furieuse.

Elle leur avait passé un sérieux savon.

Pourtant, les gardiennes avaient le sentiment de ne pas être pour grand chose dans ce qui était arrivé.

Quelqu'un - ou quelque chose - avait soulevé, ou plutôt entrebâillé la plaque de pierre monumentale qui fermait l'entrée de la Porte, et était reparti sans réussir à l'ouvrir, abandonnant une de ses griffes monstrueuses dans sa tentative.

Bien sûr, en tant que gardiennes, leur rôle officiel était d'interdire tout passage de la porte par quelque créature que ce soit, au péril de leur vie si c'était nécessaire, mais depuis des millénaires, nul n'avait jamais entendu dire que quiconque eût jamais essayé de la franchir.

Le titre de gardiennes était généralement considéré comme honorifique, et en des temps anciens, la charge avait même été mise aux enchères, pour renflouer quelque peu les finances de quelque roi trop dépensier.

Depuis, un peu de morale avait été remis dans l'attribution des charges, mais personne ne considérait que le rôle de gardienne pût consister en autre chose qu'en des rôles protocolaires lors de cérémonies.

Pour que la reine, dont la magnanimité était légendaire, se montre aussi injuste envers ses fidèles servantes, il fallait que son inquiétude soit considérable.

L'incident de la griffe lui avait fait prendre conscience que les temps annoncés par les prophéties était venu.

Finalement, après toutes les générations de reines et de rois qui s'étaient succédé depuis des millénaires, c'était sous son règne que devaient survenir les événements improbables et terribles auxquels les souverains du royaume se préparaient sans plus guère y croire.

Cependant, comme la plupart des sujets, l'angoisse qui avait saisi la reine n'avait pas encore atteint au fond le cœur des gardiennes.

Elles avaient le sentiment d'avoir été injustement tancées, par caprice et par abus de pouvoir.

Mais c'était la reine, et sa parole ne souffrait pas de discussion.

Elles attendirent d'être hors de portée de vue - et surtout d'oreilles importunes pour échanger des commentaires à propos du traitement qui leur avait été fait, sur un ton qui aurait pu leur valoir quelque temps de cachot pour motif de lèse-majesté.

En réalité, en partie par conviction et en partie par le conditionnement de leur éducation, elles étaient fidèles à la reine et sincèrement attachées aux souverains du royaume.

Mais en cet instant, elles avaient besoin d'évacuer un excès de rage et de rancœur trop longtemps contenues.

Selon une tradition dont la mémoire avait été oubliée, et qui remontait certainement aux temps les plus anciens du royaume, plusieurs salles spéciales avaient été aménagées au sein du palais.

Ces salles étaient appelées "rigolaria" (les plus modernes disaient "lolroom", bien que ce vocable soit déconseillé).

Certaines étaient réservées au souverain et aux membres de la famille royale.

D'autres étaient accessibles à la cour et à la noblesse, en fonction de son rang.

D'autres enfin étaient mises à disposition des employés du palais et des serviteurs des nobles visiteurs.

Le défunt roi Bouig IV, "le bâtisseur", grand-père de la reine, qui avait rénové et agrandi le palais, avait même tenu à ce qu'un rigolarium soit construit au bénéfice des pauvres du royaume, pour lesquels on célébrait une fête officielle à l'équinoxe de printemps (on prenait toujours la précaution d'en conserver toujours un nombre suffisant pour cet usage).

Les gardiennes se réfugièrent ainsi au rigolarium réservé aux titulaires de hautes charges du palais - Dans le protocole du royaume, les titres de gardiennes venaient en quatrième rang, après celui de Vizir Suprême et celui de Dame Pipienne Royale.

Aussitôt qu'elles eurent refermé ma porte derrière elles, les jeunes femmes éclatèrent de rire, parce que c'était l'usage, mais surtout parce que la pièce était conçue pour provoquer l'hilarité et la bonne humeur.

La culture et l'éducation faisaient le reste.

Pleurant de gaieté dans les bras l'une de l'autre, les deux femmes se remémorèrent joyeusement leur déconvenue de l'instant d'avant.

"Décidément, la reine était furieuse, hoqueta, luitne, hilare. Je ne l'ai jamais vue aussi agressive.
- Assurément, répliqua tarmine, qui s'étouffait presque, qu'est-ce qu'elle nous a mis ! On ne m'a jamais parlé comme ça !"

La réplique, quoi qu'anodine, et à vrai dire assez négative, provoqua un nouveau sursaut d'hilarité chez luitne, qui, incapable de trouver son souffle pour répondre immédiatement s'écroula sur le plancher - qui était judicieusement recouvert d'épais tapis - et continua de rire en se tenant les côtes, aussitôt imitée par sa compagne.

Les deux jeunes femmes restèrent ainsi un moment, hurlant de rire en se racontant leurs malheurs réciproques, jusqu'à ce que les gardes en faction devant la pièce viennent les chercher, selon la consigne, les oreilles soigneusement bouchées avec de la mie de pain.

Par mesure de sécurité, à la suite de nombreux accidents, la loi interdisait de séjourner plus d'un quart d'heure dans un rigolarium.

jeudi 5 octobre 2006

Les marins au port

La "Danse des Sept Voiles" rentrait piteusement sur sa seule chaudière à vapeur.

Le grand-mât brisé pendait lamentablement sur le pont.

Sur la passerelle, Ph&-no, le bras en écharpe, donnait quelques ordres pour préparer l'entrée au port.

Il n'avait pas été possible de s'en débarrasser après qu'il se soit brisé, et désormais, il gênait les manoeuvres.

Mais une partie d'une vergue avait été brûtalement enfoncée dans la coque sous la ligne de flottaison par une grosse lame, et elle avait préféré éviter d'aggraver a voie d'eau en ordonnant de jeter le mât à la mer.

Elle avait simplement donné l'ordre de l'amarrer pour éviter qu'il ne ballotte et ne fasse davantage de dommages dans l'équipage.

Finalement, les dégâts humains étaient moins graves qu'elle ne le craignait.

Quelques contusions, quelques fractures mineures.

On lui avait remis son bras en place - apparemment, il n'était pas cassé - et immobilisé dans une écharpe.

Désormais, le navire faisait route en se trainant sur son seul moteur.

En économisant le charbon, à toute petite vitesse, Ph&-no avait réussi à ramener le bateau en vue du port de la capitale.

Des hommes se relayaient dans la cale, car la voie d'eau n'avait pu être complètement colmatée.

Des messages arrivaient à un rythme inhabituel depuis l'héliographe du phare du Gressons.

L'héliographiste du bord, un gamin blond timide, le front bandé, griffonnait avec frénésie, noircissant les feuilles de messages.

Malgré la brise marine qui entrait par la vitre brisée, il transpirait dans sa cabine.

Ph&-no prélevait les messages sur la tablette aussitôt que le jeune homme les repoussait pour commencer le suivant.

Elle s'agaçait du peu de détails et d'informations contenu dans les messages envoyés par les terriens.

S'ils n'avaient rien de plus précis à dire, maugréait-elle, autant qu'ils s'abstiennent.

A la lecture des héliogrammes, on devinait surtout la grande émotion de ceux qui les émettaient, mais on n'en retirait guère de rensignements utiles.

Finalement, l'héliographe reçut une notification de la convocation de la Reine.

Un rappel, en fait, puisque l'objet même de la traversée était la mise à disposition de la marine royale des armes et de l'équipage de la "Danse des sept voiles".

Bref, du bruit, guère plus précis que les messages précédents.

Rien qui ne puisse attendre que le navire soit à quai, finalement.

Gérer les priorités.

Le vapeur avait ses propres soucis, qui semblaient plus urgents.

Apparemment, plusieurs vagues formidables avaient écrasé toutes les superstructures du bateau.

Comme l'avaient annoncé les météoscopes, le ciel était sans un seul nuage.

Une gentille brise de sud-ouest gonflait les voiles, et le bateau filait quinze noeuds avec son moteur.

Presque son record.

Une cargaison plutôt stable, des vivres de campagne, des armes soigneusement emballées et des pièces détachées pour dirigeable.

Et cette convocation urgente de la Reine, comme en avaient reçu la plupart des capitaines de la flotte ces dernières semaines.

Un voyage de routine, qui avait en un instant tourné à la catastrophe.

Les lames s'étaient abattues, sans aucun signe avant-coureur.

La cargaison était endommagée, mais les pièces précieuses étaient miraculeusement intactes.

Toujours ça de moins à justifier auprès de l'armateur.

Et aucun homme de perdu.

Malgré sa mauvaise humeur de surface, Ph&-no pouvait rester optimiste.

---

Dès que le navire eût touché le quai, Ph&-no sauta à terre.

Contrairement à ses habitudes, elle laissa le second et le bosco superviser le déchargement des passagers et de la cargaison.

Les dernières nouvelles reçues par héliographe étaient préoccupantes.

Un membre des éclaireurs royaux l'attendait avec un cheval.

On l'aida à monter en selle avec son bras en écharpe, et elle suivit le soldat en direction du palais.

vendredi 22 septembre 2006

La dame à la licorne

Maevina rentrait d'une patrouille solitaire à cheval qu'elle avait décidée pour rompre l'ennui de l'attente au palais.

Au retour, elle avait croisé ses compagnons de voyage, qui profitaient du soleil pour faire, eux aussi, travailler leurs chevaux.

"C'est impossible, s'énervait ClandestinaRBemba. On ne peut pas monter une licorne. Ou bien elle tue son cavalier, ou bien, si on l'entrave, elle se laisse mourir en quelques minutes.

- Et pourtant, je l'ai vu, répliqua Maevina. Depuis le haut le cette colline. Sept cavalières, sur six licornes blanches et une licorne noire. J'ignorais même qu'il en existât des noires. Elles se rendent semble-t-il à la convocation de la reine, comme tous les autres.

- Vous aurez vu des chevaux joliment harnachés, voilà tout. Je me souviens qu'au cours d'un voyage, j'ai assisté à un mariage où les chevaux étaient habillés de robes, et du plus beau tissu, croyez-moi. La meilleure qualité de soie et de velours, exquisément brodés.

- Je sais reconnaître un cheval lorsque j'en vois un, pour qui me prenez-vous ? répondit aigrement Maevina, agacée par son insistance. Quand vous aurez autant d'années de service dans la cavalerie que moi..."

Maevina laissa sa phrase en suspens, comme s'il était superflu de la développer.

Au bout d'un instant de silence qui pouvait paraître satisfaisant, elle ajouta néanmoins: "De plus, ces licornes-là n'avaient pas de harnachement du tout. A ce qu'il semble, elles se montent à cru, comme si elles n'étaient pas dressées, mais plutôt apprivoisées.

- Ca parait plutôt difficile à croire, intervint le capitaine qui les accompagnait. J'ai entendu dire que seules de jeunes vierges pouvaient s'en approcher, et que tout autre était impitoyablement encorné et piétiné. En province d'Estorellie, c'est même ainsi, paraît-il, qu'on s'assure de la pureté des fiancées avant le mariage.

- Eh bien, vérifiez par vous-même, répondit Maevina. Les voilà qui approchent".

Tous se retournèrent.

En effet, sept cavalières approchaient à belle allure, dans un silence impressionnant, sans soulever le moindre grain de poussière.

"Mais ce sont les armes du marquisat des Cottes d'Armure ! s'exclama soudain ClandestinaRBemba, abritant ses yeux du soleil du revers de la main.

- Vous avez raison, répondit Maevina. Il me semble bien que c'est la marquise Ludine en personne".

Les licornes approchèrent au plus près de ce que pouvaient supporter les chevaux, qui semblaient très nerveux. Les licornes, quant à elles, semblaient au contraire parfaitement tranquilles, leurs yeux pailletés de turquoise habités d'une sérénité surnaturelle et inquiétante.

Ludine, sur la licorne noire, salua les cavaliers.

"Impressionnantes montures, commenta ClandestinaRBemba.

- Notre arme la plus redoutable, acquiesça Ludine, mais difficile à utiliser.

- Une arme à double tranchant, je le crains, ajouta Maevina. J'aurais trop peur de la voir se retourner contre mes propres troupes.

- Nous avons quelques secrets, cela va de soi, expliqua Ludine. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un dressage. Nous parlons plutôt d'un pacte. Il s'agit d'un échange.

- Eh bien, qu'est-ce que nous faisons d'autre, avec nos chevaux ? objecta ClandestinaRBemba, ironique. Nous leur fournissons des picotins, ils nous transportent où nous décidons, au péril de leur vie si nécessaire.

- C'est un peu plus compliqué que cela, répondit Ludine, légèrement vexée. Nous avons notre part dans le marché, et elle nous coûte quelque chose".

Puis elle se tut, nullement décidée, à ce qu'il semblait, à en dire davantage.

"Eh bien, j'imagine que ces licornes procurent un avantage militaire, malgré tout ? demanda Maevina, conciliante.

- Il est vrai qu'il n'y a pas eu de véritable guerre depuis fort longtemps, concéda Ludine. Mais sur nos côtes, nous avons une fois exterminé plusieurs centaines de pirates expérimentés et très bien armés à nous sept, ainsi qu'il est désormais récité dans nos chroniques".

Pendant le silence qui suivit, l'attitude impressionnée des cavaliers suffit à confirmer que l'exploit était, en effet, appréciable.

lundi 18 septembre 2006

Visa pour l'image

Jeune gazettiste fraiche émoulue de l'école de journalisme, Miladee se savait promise à une fabuleuse carrière de grand reporter.

Elle avait refusé les propositions du Héraut de la Reine, le grand quotidien de la capitale, afin de conserver son indépendance.

Elle sentait que dans sa profession, son anticonformisme et sa méfiance vis-à-vis des pouvoirs pouvaient lui tenir lieu de certificat de compétence, à condition de faire preuve d'intransigeance et de professionnalisme en ce qui concernait la qualité de son travail.

Elle avait effectué quelques piges pour des quotidiens indépendants, mais son vrai rêve, c'était de faire de grands reportages en freelance, qu'elle vendrait à de grands quotidiens d'envergure nationale.

En attendant, elle apprenait son métier comme employé d'une petite feuille locale de la capitale, le Canard de la Mare (du nom du quartier de la Mare, célèbre quartier de la capitale, de grande réputation et de petite vertu).

Elle tenait une rubrique de nouvelles locales, et prétextait souvent le besoin de recueillir un témoignage pour parcourir son quartier, son antique graphoscope à soufflet autour du cou.

Ses meilleurs reportages avaient été tirés de rencontres impromptues dans la rue, bien que ses employeurs lui fassent les gros yeux à chaque fois qu'elle s'écartait du sujet qui lui avait été assigné.

Mais les lecteurs appréciaient ses papiers, et le faisaient savoir, aussi elle avait rapidement obtenu un certain respect, et le droit de conserver sa liberté.

Par ailleurs, le Canard de la Mare était plutôt apprécié dans les milieux dans lesquels elle évoluait, et sa carte de presse servait assez facilement de sésame - au moins dans les conversations de comptoir.

Elle s'était ainsi constitué un réseau d'indicateurs plutôt bien informés qui n'auraient pas fait rougir les fonctionnaires de la police de la Reine.

Évidemment, quand on était journaliste dans le royaume, il fallait faire attention.

La presse était surveillée, il ne fallait pas manquer de respect à la Reine, au gouvernement ou aux notables.

Du moins, sans un dossier solide et irréfutable, et sans avoir sa valise prête pour un exil précipité.

Mais en ce moment, ces restrictions étaient le cadet des soucis de Miladee.

Elle profitait d'un moment de liberté pour parcourir les rues et mitrailler bêtes et gens avec son graphoscope.

Elle poussa la porte d'un café où elle avait ses habitudes

Le troquet était plein des habitués habituels, qui étaient pleins eux-mêmes, et qui la saluèrent bruyamment, sans lâcher leur partie de cartes ou de tric-trac.

Quelques piliers du comptoir faisaient la conversation avec la serveuse, une fille qui aurait pu être jolie si avait été moins fatiguée et désabusée.

Miladee commanda un café

En examinant ses compagnons d'un instant, Miladee reconnut Pif-Rouge.

Ce n'était pas son nom, bien sûr, mais Miladee avait oublié le vrai, et elle trouvait que décidément, il ne pouvait en revendiquer un de plus approprié.

"Tout le monde est venu à la fête, dit-elle ironiquement, pour engager la conversation. C'est encore mieux qu'au palais ! On va s'amuser comme des fous, ici !

- Bof, tu sais, répondit Pif-Rouge, faisant visiblement un effort pour mouvoir sa bouche pâteuse, je ne suis pas sûr que la convocation au palais soit pour une fête, ça non.

- Et pourquoi d'autre, sinon ?

- A ce qu'on dit, toute la noblesse est venue en armes. Normalement, les armes sont interdites au palais, à l'exception de celles de la garde royale. Ce que je dis, moi, c'est qu'il se prépare une guerre.

- Une guerre avec qui ? répliqua la serveuse, sceptique. Depuis le traité des sept royaumes, il y a trois cent cinquante ans, il n'y a plus de guerre. Les soldats ne savent même plus comment s'y prendre.

- Je sais ce que je dis, répondit Pif-Rouge, vexé. Mon cousin est palefrenier aux écuries royales. On leur a tous fait promettre de ne pas en dire un mot, mais le cousin Louis, au bout de deux choppes, il ne sait plus tenir sa langue, finit-il en éclatant de rire.

- C'est vrai, les sept royaumes sont en paix depuis longtemps, intervint Miladee. Avec qui la Reine pourrait-elle vouloir commencer une guerre ?

- Ah, ça, répondit Pif-Rouge, ironique, t'as qu'à lui demander.

- Je vais demander qu'on me fasse annoncer, répliqua Miladee sur le même ton."

Elle finit son café, salua distraitement la compagnie, et sortit, songeuse.

Elle se disait qu'il fallait absolument qu'elle trouve un moyen d'entrer au palais.

mardi 12 septembre 2006

La vague

Quand la "Danse des Sept Voiles" se retourna, Ph&-no se reposait dans sa cabine de capitaine.

Elle sut immédiatement que quelque chose de grave était arrivé.

Elle sentait quelque chose de chaud et de poisseux couler le long de son visage - un peu de sang qui coulait de son front.

Bah, elle s'en sortirait avec une nouvelle balâfre.

Elle avait l'habitude.

Il faisait complètement noir dans la cabine, et apparemment, elle était allongée inconfortablement sur le plafond, qui se trouvait à présent en dessous d'elle.

"Le bateau", pensa-t-elle immédiatement.

Mais pour le moment, ce qu'elle pouvait faire, c'était chercher à identifier sa position et trouver un passage vers la passerelle.

On commençait à entendre des cris de l'équipage, et surtout des jurons.

Plutôt bon signe, pensa-t-elle. S'ils râlent, c'est qu'ils ne vont pas si mal que ça.

"Bon sang, grommela-t-elle, le météographiste avait promis une mer d'huile pour toute la traversée !".

Ca faisait pas mal de temps qu'elle navigait sur toutes les mers, mais elle ne se souvenait pas avoir été secouée de cette manière.

Il y eut un énorme craquement, et le bateau recommença à basculer, pour revenir dans sa position normale.

Ph&-no se sentit glisser sans pouvoir arrêter sa chute, ignorant sur quoi elle allait se recevoir.

Soudain, Ph&-no se retrouva sur le dos, le souffle coupé.

Elle se rendit compte qu'elle était revenue en travers de sa couchette.

Elle se retint de hurler.

Son bras la faisait souffrir, et il lui semblait en position anormale.

Elle se dit qu'il devait être démis.

Elle espérait qu'il n'était pas cassé.

Elle n'avait vraiment pas besoin de ça maintenant.

Le bateau était d'aplomb, mais continuait à bouger beaucoup.

Elle avait un sérieux mal de mer.

Son corps appuyait sur son bras blessé, et la douleur devenait atroce.

Elle se sentit partir, et s'évanouit.

jeudi 7 septembre 2006

Un bruissement d'aile de papillon

Aussitôt qu’on lui eut indiqué ses appartements dans le palais, sire Breizhblog (ou plutôt, de son véritable nom Ar Valafenn d’Armoricie) abandonna ses gens à l’installation de sa maison, et se mit à explorer méthodiquement le château, afin de vérifier le trouble que sa légendaire jupe à carreaux produisait invariablement sur la gent féminine.

Car si chacun sait l’intérêt que les garçons portent à ce qui se cache sous les jupes des filles, cette curiosité est peu de chose en comparaison de celle que les filles vouent à ce qui se cache sous les jupes des garçons !

Et de filles de toutes sortes, le palais n’en manquait pas en ce moment, et si l’humeur générale était davantage à la préparation d’aventures guerrières, il est notoire que les guerriers sont des jeunes gens et des jeunes filles qu’aucune sorte d’aventure ne saurait rebuter.

Une belle assurance, non dénuée d’un soupçon d’arrogance lui laissait à penser qu’il s’en trouverait surement quelques-unes désireuses de s’initier avec lui à l’art du biniou armoricien.

Ou, du sac-à-pipes, comme on disait dans en dialecte saxangloyen.

Car le sire Ar Valafenn était versé dans l’art des langues, non seulement dans la langue officielle du royaume et dans les dialectes gutturaliques pratiqués dans les terres d’Armoricie, mais dans de nombreux langages de principautés éloignées de l’Insularie angloyenne.

Il se flattait en outre de savoir utiliser sa langue de mille autres manières.

D'ordinaire, Ar Valafenn fréquentait plutôt les dames de sa qualité, auprès desquelles sa virile prestance faisait des merveilles.

Dernièrement, il avait croisé ClandestinaRBemba, et malgré une rencontre un peu houleuse, il s'était promis de se faire mieux connaitre de la jeune personne.

Il avait également assisté à l'arrivée spectaculaire de Lili au commandes de son dirigeable, et avait noté dans un coin secret et hypertrophié de son cerveau que cette dame était également digne d'intérêt.

Car Ar Valafenn se passionnait pour le fonctionnement des femmes de forte personnalité, qu'il mettait une soin minutieux à étudier, se considérant légitimement comme un érudit en la matière.

Mais il estimait aussi qu'il se devait à tout le monde, et ne se soustrayait jamais à l'obligation sacrée de diffuser à l'occasion ses gènes auprès de la gent servile, pourvu qu'elle fût féminine.

Justement, cette nuit-là, il explorait les cuisines du palais afin d'en étudier la population femelle avec une minutie scientifique.

Il n'eut guère de mal à subjuguer une fille des cuisines, aux formes prometteuses et au regard plein de réconfortante naiveté.

Ar Valafenn s'apprêta à disposer de sa proie, ainsi qu'il revient au chasseur victorieux, ce à quoi celle-ci consentait volontiers.

Soudain, une sorte de grondement monstrueux sembla s'élever de l'abîme, loin en dessous des cuisines.

Une sorte de chant suraigü, aux paroles ininteligibles, issu de gorges inhumaines s'éleva.

Une partie du mur sembla rougeoyer, puis des lettres flamboyantes se mirent à apparaître et à s'effacer, d'un alphabet inconnu.

Puis, progressivement, les letttres semblèrent plus familières.

Enfin, Ar Valafenn reconnut quelques mots, Porte, Ouvrir, Souverain.

Et soudainement, tout cessa, laissant un silence presque douloureux, et un mur lisse.

Ar Valafenn effleura le mur, qui était glacé.

La fille s'était enfuie depuis longtemps, et c'était aussi bien, car Ar Valafenn se sentait désormais trop piteux pour consommer ses amours ancillaires.

Son éternelle bonne humeur désormais teintée d'idées sombres et inquiètes, il se promit de prendre davantage de renseignements sur les motifs de la convocation de la reine.

jeudi 3 août 2006

le révélateur

Comme tous les princes technologiens, lili affichait un certain mépris pour les animaux en général - elle employait d'ailleurs plutôt le vocable péjoratif de "bestiasse" - et davantage encore pour ceux qui les menaient, princes-chevaliers et autres maîtres-dragons.

Dans le royaume, les technologiens avaient la réputation d'ingénieurs extraordinaires, et c'était à eux qu'on faisait appel à chaque fois qu'il était nécessaire d'avoir recours à des machines sophistiquées ou qu'on avait besoin de construire un pont audacieux.

Ils étaient les inventeurs de ces fabuleux dirigeables qui amenaient les princes des régions les plus éloignées du royaume.

Les technologiens tenaient pour une vertu cardinale le respect d'une certaine austérité dans leur démarche intellectuelle et un certain refus de la fantaisie dans leur apparence.

Il était d'usage de railler - discrètement - la plus célèbre d'entre eux, Elvire, qui avait accédé au grade de Grand Connétable au sein de l'armée royale, à propos de ses tenues rigoureuses et dépourvues de couleurs.

A cet égard, lili respectait à la perfection les codes et les traditions de sa gent, puisqu'elle était rigidement serrée dans l'étroite redingote noire des capitaines de dirigeables.

Dans sa province, elle avait déjà une certaine réputation, pas seulement parce qu'elle était la future héritière de la couronne Comtale, mais aussi parce qu'elle avait fait montre de capacités hors du commun à l'école militaire.

Elle était ainsi devenue à dix-neuf ans la plus jeune capitaine jamais diplômée des écoles technologiennes.

Lili arrivait en éclaireur, avec un dirigeable rapide, pour préparer le débarquement de tous les aéronefs qui allaient constituer la flotte royale.

Malgré les remous inattendus qu'elle avait dû affronter à l'approche finale, son atterrissage avait été réalisé avec une précision et une douceur que ses maîtres auraient appréciés.

Elle jeta un dernier coup d'œil à l'extérieur, puis effleura du doigt le cerclage de cuivre qui entourait le cadran du navigataire philosophal.

Celui-ci acheva d'enregistrer les derniers paramètres du vol sur le rouleau de carton, puis le cadran devint opaque.

"Il faudra, songea lili, que je signale ces brutales variations du champ philosophal en approche du palais. Les pilotes peu expérimentés risquent d'être gravement perturbés. Je ne sais pas d'où peuvent provenir de telles anomalies, je n'avais jamais rien observé de tel auparavant".

Elle ouvrit le carnet de bord devant elle, sur la table des cartes.

L'équipage, qui avait reçu avant le départ des instructions précises s'était attelé au travail de déchargement dès le toucher du sol.

Par le hublot, lili apercevait une partie de ses hommes qui préparaient les installations de balisage et d'orientation pour les dirigeables suivants.

Profitant de sa première période de calme depuis des jours, lili préleva dans une armoire un instrument, qui ressemblait grossièrement à un appareil photographique à soufflet.

Il s'agissait en fait d'un révélateur philosophal, qui permettait de rendre visibles les champs à proximité de l'observateur.

Elle braqua l'appareil vers la cour du palais et retint une exclamation.

Exactement à l'aplomb du palais, une énorme zone d'espace montrait un trou béant dans le champ philosophal.

lundi 31 juillet 2006

La griffe

Au fond d'une crypte retirée et bien gardée du palais, Tarmine, la gardienne de la porte et Luitne, la gardienne des clés examinaient les pierres d'un oeil inquiet.

Les changements de couleur et d'aspect des pierres de la porte, qui suscitaient l'inquiétude la reine depuis quelques semaines s'accéléraient sans cesse.

Selon les prophéties, ce changement était l'annonce d'événements importants et terribles.

Malgré l'importance de leur charge et de leur responsabilités, Tarmine et Luitne n'étaient pas informées de la nature exacte de la porte et surtout de ce qui se trouvait derrière.

Ce secret était détenu par deux personnes seulement dans tout le royaume: la grande druidesse et la reine elle-même.

Il ne pouvait être transmis que sur un lit de mort.

Une loi non écrite, mais appliquée avec sévérité, stipulait que quiconque prenait connaissance indûment de ce secret, par ruse ou par accident devait être mis à mort sur le champ.

L'existence de la porte elle-même était un secret réservé à un tout petit nombre de personnes.

Au bout du compte, la seule information qu'on avait jugé nécessaire de communiquer aux gardiennes lors de leur prise de charge, c'était que la porte existait, qu'elles répondaient de sa sécurité sur leur vie, et que l'avenir du monde dépendait de cette porte.

Naturellement, elle ne savaient pas comment cette porte s'ouvrait, ou comment elle pouvait être refermée après son ouverture.

La porte elle-même se réduisait à un cercle de couleur différente dans le dallage de la crypte.

Au premier abord, on aurait pu penser qu'il s'agissait simplement d'un motif de carrelage.

Le centre du cercle était occupée par une dalle de pierre grise.

On devinait que l'ensemble formait l'entrée d'un puits bouché.

Les pierres de la porte proprement dites étaient une douzaine d'hémisphères d'aspect minéral, de la taille d'une grosse pomme, disposés régulièrement sur le pourtour de la porte.

En temps normal, ces pierres ressemblaient à de grosses boules décoratives de verre noir, sans aucun intérêt particulier.

Depuis que l'activité avait commencé, elles semblaient traversées par intermittence de lueurs fuligineuses de diverses couleurs, et on croyait deviner quelque chose de vivant à l'intérieur.

La reine avait ordonné que désormais Tarmine et Luitne se relaient sans discontinuer auprès des pierres, pour donner le signal aussitôt qu'une anomalie plus significative surviendrait.

Pendant la journée, elles veillaient ensemble.

Soudain, le bouchon du puits sembla se dilater et se soulever, puis revint à sa place comme dans un soupir, et une sorte de brouillard laiteux enveloppa la porte, mais sans se répandre dans la crypte.

Les pierres scintillaient avec frénésie.

Puis tout cessa aussi soudainement que cela avait commencé.

Le brouillard s'était dissipé sans laisse aucune trace.

Les deux gardiennes se regardèrent, comme pour se confirmer qu'elles n'avaient pas rêvé, tant l'événement avait été fugace.

Mais elles ne doutèrent pas longtemps.

Au bord de la porte, un morceau d'une sinistre griffe noire et torsadée avait été abandonnée par son mystérieux propriétaire.

dimanche 30 juillet 2006

Les dirigeables

Elvire affichait son visage des mauvais jours.

Elle avait été désignée par la reine grande connétable du royaume.

Autrement dit, le chef militaire suprême de toutes les forces armées.

Allez savoir pourquoi on disait "grand connétable", puisque de toutes façons il n'y en avait qu'un, et qu'il n'était jamais petit.

A ce titre, elle était responsable de l'accueil et de l'organisation militaire de la formidable armée qui était en train de se rassembler depuis la convocation de la reine.

En raison de son rôle exceptionnel auprès de la reine, elle faisait partie des rares personnes que cette dernière avait fait tenir informées des raisons précises de la récente accélération des événements.

Et en dépit de l'ambiance de kermesse joyeuse qui se répandait dans tout le palais et toute la ville, rien de ce qu'elle savait ne l'inclinait aux réjouissances.

Mais elle se tenait à l'observation d'un secret rigoureux, que la reine avait exigé, bien qu'en ce qui concernait Elvire, cela fût absolument superflu - sa réputation d'efficacité légendaire était indissociable de son caractère sévère et taciturne.

L'essentiel de son activité actuelle consistait à l'accueil des troupes arrivantes, et à leur organisation en vue des missions qui ne manqueraient de leur être bientôt attribuées.

Justement, les premiers dirigeables commençaient à arriver des provinces les plus éloignées, inaccessibles à cheval, et Elvire commençait à trouver que son travail finissait par ressembler davantage à la régulation de la circulation routière qu'à celui de chef de guerre.

- Allons, messire, faites place, lança-t-elle à Breizhblog qui tardait à dégager la place d'armes pour permettre l'atterissage des ballons géants.

Breizhblog lança quelques ordres en breton à ses gens, qui déguerpirent juste à temps.

Le ballon de lili se posait, sans faire grand cas des bêtes et des gens attardés en dessous qui détalaient pour échapper aux immenses pare-buffles chromés.

Une équipe de servants qui se tenaient prêts aggripèrent aussitôt les cordages qui avaient été jetés du dirigeable pour l'amarrage.

vendredi 28 juillet 2006

La salamandre

Belleselajoue chevauchait une salamandre-tigre.
Elle avait revêtu une armure d'apparat ignifugée de couleur jaune - la seule couleur que les salamandres supportent.
Son épée et son arc de combat étaient rangés dans un étui ignifugé, jaune également.
Comme c'était l'usage, deux servants suivaient la salamandre à cheval, pour l'alimenter à chaque fois qu'elle en manifestait le besoin.

Chacun d'eux transportait, de chaque côté de la selle une bombonne de nitrométhane sous pression, pour la nourriture de l'animal.

Maevina et ClandestinaRBemba accueillirent avec effusions belleselajoue, mais bien que pressée de questions, elle non plus ne savait pas grand chose de l'objet de la convocation.

Elles avaient cependant beaucoup de choses à se raconter, comme si elles s'étaient quittées depuis des années, alors que leur séparation remontait seulement à quelques semaines.

En devisant avec animation, toutes trois se rendirent à l'espace qui avait été assigné à la suite de belleselajoue.

Par mesure de protection contre les incendies, il était de tradition de soigner les salamandres à l'écart des bâtiments d'habitation, et la reine avait fait mettre un bâtiment annexe à la disposition des invités qui avaient choisi cette arme.

C'était une écurie spéciale, en fait une grotte artificielle de marbre jaune, sans aucune boiserie ni aucune tenture, mais richement décorée de fresques, à dominante jaune.

Le principal ameublement du bâtiment était constitué par un nombre impressionnant de fontaines et de points d'eau, destinés autant à la boisson des visiteurs - l'eau de source était excellente et idéalement équilibrée en sels minéraux et oligo-éléments - qu'à la prévention des incendies.

Comme la matinée était avancée, belleselajoue convia ses amies à déjeuner, autour de la grande table à banquet en pierre dont chaque appartement était muni. Un délicieux repas était servi, la reine pourvoyant avec libéralité à l'entretien de ses invités.

Il ne faudrait pas, s'exclama belleselajoue, que cette attente si confortable se prolonge par trop. Nous sommes si bien traités que si la reine tarde trop, elle nous trouvera incapables de bouger et de nous déplacer. Rien qu'à contempler ce buffet, j'ai déjà pris deux kilos.

ClandestinaRBemba rappela à cette occasion l'invitation à dîner quotidienne de la reine, à laquelle tous les vassaux étaient conviés chaque soir.

Décidément, les amies appréciaient leur voyage, et leur humeur était excellente.

mercredi 26 juillet 2006

convocation

Breizhblog descendit du rat-dragon qui lui servait de monture.

ClandestinaRBemba jeta un regard glacial sur cet étranger en jupe à carreaux qui surgissait au milieu de la troupe sans avoir été invité.

- Je vous salue, madame, de toute ma celtitude.

- Je vous retourne vos compliments, monsieur, de toutes mes certitudes.

- Je vous en prie mes amis, pas d'ironie acide intervint meavina en reconnaissant l'étranger. Le temps n'est plus aux disputes. Nous avons été convoqués pour résoudre une situation grave.

- Mes salutation, dame maevina, répliqua Breizhblog. J'espère que vous pourrez nous en dire plus, justement. Quant à moi, on ne m'a guère donné de précisions, hormis qu'il s'agissait d'une urgence.

- Nous n'en savons guère plus, précisa ClandestinaRBemba. A ce qu'il semble, tous les vassaux de la couronne ont été invités à se présenter dans les meilleurs délais, avec leurs armes et leurs gens.

Depuis trois jours, en effet, tout ce que le royaume comptait de noblesse se rassemblait au château.

Cela faisait déjà pas mal de monde, en comptant les gens de suite, et les différentes cours du palais finissaient par ressembler à une énorme ruche bourdonnante.

- J'ai déjà croisé la comtesse lili et la marquise ludine, précisa maevina. Et on m'a dit que dame luitne viendrait et aussi la baronne belleselajoue. Je n'avais jamais pris conscience du nombre de personnes que représentait la noblesse du royaume. C'est probablement la première fois qu'ils seront réunis en un même lieu.

- J'ai croisé sur ma route pas mal d'ambassadeurs étrangers, précisé Breizhblog. Je soupçonne que cette affaire a quelque chose à voir avec la fonction de Grande Gardienne Universelle de la Porte de notre reine.

- C'est probable, en effet, répondit maevina en haussant des épaules, mais nous en saurons plus dans quelques jours, quand la reine jugera qu'un nombre suffisant de vassaux sont arrivés. En attendant, nous ferions mieux de trouver pour notre suite une place disponible et à peu près commode.

Le majordome de maevina obtint une aile dans le château, où ils purent tous les trois installer leurs suites - après tout ils étaient arrivés ensemble, et comme ils étaient cousins éloignés, cela leur donnait une raison de refaire connaissance.

Breizhblog s'assura que l'on prenait tout le soin nécessaire de ses rats-dragons. C'étaient des créatures de combat redoutables, mais d'une grande fragilité sur le plan digestif, et sujets aux flatulences. Deux maîtres-rat et sept palefreniers veillaient en permanence sur l'équipage.

ClandestinaRBemba et maevina étaient arrivées chacune dans un carrosse à chevaux plus classique, suivi de leurs chevaux d'armes et de chariots à chevaux qui transportaient les bagages et les armes.

Pour leurs déplacements, ces dames et ce monsieur portaient l'armure de voyage légère composite au carbone et au kevlar.

- Mesdames, monseigneur, commença le majordome, la reine vous fait savoir que tous ses vassaux présents sont convoqués chaque soir au banquet officiel qu'elle donne en leur honneur jusqu'à la tenue de la réunion plénière. Par ailleurs, nous recevrons ce soir la convocation officielle pour cette réunion, dont la date définitive a été fixée à demain soir.

- Demain, déjà ! s'écria Breizhblog, surpris. Mais tous les vassaux ne seront pas arrivés !

- La reine décide, monseigneur, répondit le majordome. A ce que j'ai cru entendre, l'urgence se fait pressante.

Au dehors, presque sans discontinuer, dans les airs ou par la route, de nouveaux équipages se présentaient dans la cour principale du château.

- C'est la suite de belleselajoue, s'écria soudain maevina. Allons la saluer.

(à suivre)