Comme tous les princes technologiens, lili affichait un certain mépris pour les animaux en général - elle employait d'ailleurs plutôt le vocable péjoratif de "bestiasse" - et davantage encore pour ceux qui les menaient, princes-chevaliers et autres maîtres-dragons.

Dans le royaume, les technologiens avaient la réputation d'ingénieurs extraordinaires, et c'était à eux qu'on faisait appel à chaque fois qu'il était nécessaire d'avoir recours à des machines sophistiquées ou qu'on avait besoin de construire un pont audacieux.

Ils étaient les inventeurs de ces fabuleux dirigeables qui amenaient les princes des régions les plus éloignées du royaume.

Les technologiens tenaient pour une vertu cardinale le respect d'une certaine austérité dans leur démarche intellectuelle et un certain refus de la fantaisie dans leur apparence.

Il était d'usage de railler - discrètement - la plus célèbre d'entre eux, Elvire, qui avait accédé au grade de Grand Connétable au sein de l'armée royale, à propos de ses tenues rigoureuses et dépourvues de couleurs.

A cet égard, lili respectait à la perfection les codes et les traditions de sa gent, puisqu'elle était rigidement serrée dans l'étroite redingote noire des capitaines de dirigeables.

Dans sa province, elle avait déjà une certaine réputation, pas seulement parce qu'elle était la future héritière de la couronne Comtale, mais aussi parce qu'elle avait fait montre de capacités hors du commun à l'école militaire.

Elle était ainsi devenue à dix-neuf ans la plus jeune capitaine jamais diplômée des écoles technologiennes.

Lili arrivait en éclaireur, avec un dirigeable rapide, pour préparer le débarquement de tous les aéronefs qui allaient constituer la flotte royale.

Malgré les remous inattendus qu'elle avait dû affronter à l'approche finale, son atterrissage avait été réalisé avec une précision et une douceur que ses maîtres auraient appréciés.

Elle jeta un dernier coup d'œil à l'extérieur, puis effleura du doigt le cerclage de cuivre qui entourait le cadran du navigataire philosophal.

Celui-ci acheva d'enregistrer les derniers paramètres du vol sur le rouleau de carton, puis le cadran devint opaque.

"Il faudra, songea lili, que je signale ces brutales variations du champ philosophal en approche du palais. Les pilotes peu expérimentés risquent d'être gravement perturbés. Je ne sais pas d'où peuvent provenir de telles anomalies, je n'avais jamais rien observé de tel auparavant".

Elle ouvrit le carnet de bord devant elle, sur la table des cartes.

L'équipage, qui avait reçu avant le départ des instructions précises s'était attelé au travail de déchargement dès le toucher du sol.

Par le hublot, lili apercevait une partie de ses hommes qui préparaient les installations de balisage et d'orientation pour les dirigeables suivants.

Profitant de sa première période de calme depuis des jours, lili préleva dans une armoire un instrument, qui ressemblait grossièrement à un appareil photographique à soufflet.

Il s'agissait en fait d'un révélateur philosophal, qui permettait de rendre visibles les champs à proximité de l'observateur.

Elle braqua l'appareil vers la cour du palais et retint une exclamation.

Exactement à l'aplomb du palais, une énorme zone d'espace montrait un trou béant dans le champ philosophal.