Moi, j'ai rencontré quintescent en 2004, pendant le tsunami.
Pour nous, c'était une légende dans le milieu du racket-surf, le surf en raquettes.
On était toute une bande, de tous les pays du monde, avec un seul point commun: On était dingues de vagues.
Pour être plus exact, on attendait LA vague.
Le rouleau légendaire, le tube parfait.

Certains attendaient depuis des années.
Les plus anciens étaient des vétérans de la guerre du Viet-Nam, au look de hippie grisonnants.
Ils aimaient laisser croire qu'ils étaient déserteurs de l'US army, mais peut-être qu'ils avaient juste été réformés ou oubliés lors de l'évacuation, en train de cuver leur marie-jeanne dans une chambre paumée.
De toutes façons, personne ne se posait bien longtemps ce genre question, une fois qu'il était allongé sur le sable.

Les plus jeunes étaient des gamins danois, arrivés la veille, attirés par la réputation du spot.

Les pétards tournaient, les filles tournaient, et on était parfois pas très prudents, avec les putains de lois islamiques du pays, qui avaient vite fait de vous envoyer au trou pour vingt ans pour détournement de mineur ou pour trafic de drogue. Mais ça allait toujours: tant qu'on avait un ou deux billets à leur filer, les flics fermaient les yeux. Un bon business pour eux.

Au bout de quelques jours, on s'apercevait qu'en fait de vague, la mer était plutôt plate, par ici. Il y avait quelques moutons, et une barre assez marquée, à 300 m du rivage, mais à part ça, pas grand chose.
On finissait par se demander ce qui avait fait naître l'incroyable réputation de l'endroit.
Mais le soir, autour du feu de camp, on se répétait la légende, et on restait un jour de plus.
Ca durait des années.

Et puis un jour, quelqu'un a annoncé le passage de quintescent.
LE quintescent.
L'inventeur de la philosophie du racket-surf, le découvreur des spots les plus mythiques de la planète.
Tenir sur l'eau avec des raquettes, quand on y pense, ça a quelque chose de magique.
Ce type réinventait les lois de la physique et de l'espace avec son corps.

Et ce corps, justement, ça disait quelque chose aux filles !
Elles étaient électrisées. Jamais vues comme ça.
Elles se repassaient des pics trouvées sur Internet.
Du coup, les garçons faisaient un peu la gueule, parce qu'il n'y avait jamais eu autant de rateaux dans la bande que la veille de sa venue.

Il est arrivé un soir, autour du feu de camp.
Une soirée inoubliable.
Il faisait un temps magnifique - comme tous les jours, en fait.
La nuit était douce, on buvait ses paroles.
L'expérience de ce type était incroyable.
Je n'aurais jamais cru qu'on puisse faire tant de trucs dans une seule vie.

Il ne pouvait pas rester.
Il avait une conférence le lendemain, pour une journée de la glisse, dans la capitale.
Il partait à l'aube.
Mais promis, il revenait le lendemain, pour une glisse de légende.
On avait tous une boule dans la gorge à cette idée.
Certaines filles chialaient.
Et pas seulement les filles...

Et puis la vague est venue.
Le tsunami.
La plage a disparu.
J'ai revu quintescent le lendemain, il arrivait de la capitale.
On a discuté un moment, du haut d'une colline, en regardant la mer.
On a essayé de parler de raquettes et de glisse.
Mais j'étais le seul survivant de la bande, j'avais plus trop la frite.
Alors j'ai laissé tomber, et je suis rentré.

la vague