Chapitre 28
Où l'on voit que les Europains avaient de la considération pour leurs cendres
de conséquence.
Tu es poussière, et tu finiras mal.
Jaurès de l'Avenue, in Adages, Sagesse et Dictons.
Au temps de Nicolas de Sarcotie, les Europains, malgré tous leurs talents,
avaient aussi quelques déplorables habitudes.
Parmi ces mauvaises manies que la morale réprouvait, il y avait la fumée.
La fumée était produite par la combustion de petits bâtonnets phalloïdes à base
d'herbes séchées brunâtres peu ragoutantes.
En réalité les bâtonnets avaient le plus souvent une taille modeste, de quelques
centimètres à peine en longueur, pour moins d'un centimètre de diamètre.
On est forcé d'en déduire, non sans surprise, que les Europains de cette
époque avaient un tout petit pénis, malgré l'usage frénétique qu'ils en
faisaient.
Cependant, certains gourmands préféraient les modèles de grande taille comme la
célèbre Monique de Lèvenskis, une célèbre stagiaire à gros potentiel de cette
époque, qui savait ce qui était bon, et qui est restée célèbre pour la
manière dont elle roulait les cigares sur la cuisse, à la cubaine.
Le plus souvent, on préférait des modèles plus modestes, qui présentaient
l'avantage qu'on pouvait consommer plus fréquemment, car malgré la honte
latente, on n'était pas prêt à renoncer à son addiction.
Il en existait de pré-roulés industriellement, et d'autres qu'il fallait rouler
soi-même, avec de la colle à prise rapide commodément fournis dans les kits
proposés aux consommateurs.
Les conjectures sont encores ouvertes quant à l'avantage que les Europains
tiraient de la fumée.
On sait qu'elle jouait un rôle, avec le sel, dans la conservation du
poisson nordique et des écclésiastiques orientaux.
Selon de nombreux récits, la fumée faisait rire sans raison, effet que nos
médecins considèrent généralement comme bénéfique, tout en estimant que cette
approche pour l'obtenir était un peu dérisoire.
De plus, la fumée permettait de masquer l'odeur du métro et des égouts à ciel
ouvert, qu'on trouvait ici et là dans les villes (les notions de
l'hygiène publique étant encore balbutiantes).
D'autant plus qu'au début de son premier mandat, Nicolas de Sarcotie n'avait pas
encore réussi à extirper toute la gent SDF qui s'était insinuée partout,
certains s'obstinant à rester pauvres malgré les opportunités qui leur étaient
offertes de travailler plus pour avoir la TVA gratuite.
La fumée permettait aussi de désinfecter les vêtements en poil de ruminant frisé
tressé quand on l'avait mauvaise à laine, en leur laissant une bonne odeur de
propre, certes illusoire et factice, mais agréable, et en tous cas,
aphrodisiaque, ce qui n'était pas négligeable.
Et on présume qu'elle tuait les bactéries et les poux, qui infestaient
pratiquement toute la population, hormis les chauves (probablement en raison
d'un gène incompatible).
Il faut s'imaginer les villes de l'époque (et notamment Pari) couvertes par un
salubre nuage de fumées parfumées de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur,
qui donnaient aux murs leur patine et leur cachet, mais perturbaient la
circulation des aéronefs et des moineaux lorsqu'ils n'étaient pas munis de
radar.
Mais à tout prendre, ce n'était pas si mal, puisque Nicolas de Sarcotie avait
interdit le survol de Pari, et que les aéronefs et les volatiles qui passaient
outre l'interdiction se retrouvaient en état de délinquance.
Les marchands de tabac, quant à eux, jouissaient d'un grand prestige, au
point qu'il était d'usage de leur accorder des libéralités exceptionnelles,
comme le droit exclusif de distribuer des timbres-amende, une sorte de bon
de soutien au budget de Nicolas de Sarcotie, que les Europains les plus
patriotes collectionnaient avec acharnement, dix bons donnant droit à une
image, et dix images donnant droit à une boîte à images.
Malgré ces avantages présumés, la fumée n'allait pas sans quelques désagréments,
et ceux qui s'y adonnaient étaient plutôt mal vus en définitive, probablement
pour des raisons qui tenaient souvent davantage à la religion et à la
superstition qu'au bon sens.
On raconte ainsi que les Europaines qui arrêtaient la fumée grossissaient dans
des proportions gigantesques, difficilement concevables, ce qui constituait un
défi difficile pour les confectionneurs de vêtement extrèmement orientaux qui
n'avait jamais vu une catastrophe de cette ampleur en centimètres.
De manière générale, on considérait avec admiration ceux qui faisaient voeu
d'arrêter, et avec une admiration plus grande encore ceux qui pouvaient arrêter
plusieurs fois de suite.
On rapporte ainsi l'histoire, vraisemblablement légendaire, de
certains fumistes de cette époque, qui auraient été capables d'arrêter
plusieurs fois par jour, à force d'entrainement.