Chapitre 27

Où l'on voit que les Europains étaient victimes de comportements grégaires ataviques.

Partir un jour, sans retour.
Jaurès de l'Avenue, in La Protohistoire.


Au temps de Nicolas de Sarcotie, les Europains adoraient se déplacer en groupes.

En réalité, ils n'aspiraient à rien d'autre qu'à la tranquillité et à la solitude, mais ils étaient affectés d'une anomalie génétique qui avait pour conséquence de leur donner à tous une envie de repos en même temps.

Il faut savoir qu'à cette époque, le climat était beaucoup plus instable que de nos jours.

Il ne faisait pas chaud tous les jours, mais seulement quelques mois dans l'année, disons les mois d'été, pour simplifier.

Le reste du temps, ça caillait sévère, et les rares journées d'hiver ou de printemps où le soleil brillait, les météorologues de la télévision, consternés, annonçaient la survenue imminente d'un réchauffement climatique.

En fait, ils n'avaient complètement tort, mais pas pour les bonnes raisons.

En été, donc, période bénie, les Europains étaient quasiment assurés qu'il ferait beau, en dehors, évidemment, des jours où il pleuvrait (c'était un temps où il pleuvait encore, et souvent: c'est dire si le climat était instable en l'absence des dispositifs de contrôle météo artificiels).

Et les Europains se sentaient tous en même temps pris d'une incoercible envie de vacances.

On pense aujourd'hui que la chaleur des mois d'été augmentait leur production d'oestrogènes et de testostérone, et induisait ce comportement migratoire, une sorte de vestige d'un comportement sexuel primitif hérité d'ancêtres ruminants - mais ce n'est qu'une hypothèse.

Et en ce temps-là, les considérations économiques de bon sens et l'utilité de travailler plus pour gagner plus ne pesaient pas lourd face à une envie de vacances.

Et ils partaient.

Il s'ensuivait forcément des problèmes logistiques quasiment insolubles.

Le plus souvent, ils partaient à la mer.

Ou à la montagne.

Ou au fond d'un trou.

N'importe où, enfin, pourvu que ce soit loin de la foule (sauf le soir, pour les boîtes de nuit, nous y reviendrons).

Et les Europains n'étaient pas seuls à partir.

Les Ollandais étaient pris du même vertige en même temps.

Il n'y avait plus de guerre qui tenait, Europains et Ollandais se retrouvaient côte à côte sur les mêmes routes, les mêmes chemins, les mêmes plages, les mêmes montagnes.

On avait plus de chance de voir un Ollandais en vacances que pendant les élections.

Il s'ensuivait inéluctablement que les destinations choisies étaient abominablement surpeuplées, bien plus, en définitive, que les lieux dont les vacanciers étaient issus au départ.

On s'y bousculait, on y faisait des queues interminables devant les marchands de frites molles à l'huile rance (la spécialité cullinaire favorite des vacanciers), on partageait le sable entre les fesses et les mycoses.

On attendait dans les embouteillages au soleil, on se trempait dans une mer de bouillon tiède qui avait servi à la toilette (et de toilette) pour ses prédécesseurs.

En revanche, on n'y voyait guère l'élite des pipôles, qui se faisait toujours photographier en maillot sur des plages quasi désertes (si on omettait le pool de journalistes convoqués).

Des images de Nicolas de Sarcotie ou de la Suglend royale en maillot, destinées à susciter la sympathie électorale par le pouvoir d'attraction érotique de ces corps athlétiques quasi-nus sont ainsi restés célèbres.

Mais Nicolas de Sarcotie, quant à lui, préférait de beaucoup trouver la chaleur, morale, sinon climatique, sur un bateau libéralement prêté par un ami sur l'île du Malt (une localité connue pour ses brasseries, ce qui était malencontreux, car Nicolas de Sarcotie ne buvait pas, comme chacun sait).

Puis, lorsque l'on avait fini d'être en vacances, on retournait vite se reposer, et se soigner dans ses pénates, en se promettant - en vain - de ne plus jamais s'y faire prendre.

Les victimes les plus atteintes ne s'en remettaient jamais.

On disait alors qu'elles partaient en retraite, la plus célèbre d'entre toutes étant la retraite de Russie, qui équivalait littéralement à une véritable Bérézina.

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