Chapitre 24

Où l'on voit que les Europains excellaient dans les constructions de chôme.

C'est nous les damnés de la Terre, C'est la faute à Voltaire .
Guillaume de Napoléonaire, in 
Les 100 000 barges.


Selon les chroniqueurs du temps de Nicolas de Sarcotie, la vie des Europains était plutôt douce, agitée seulement de temps à autre par les chamailleries avec les Ollandais, qui servaient davantage à procurer des distractions qu'à défendre des intérêts vitaux.

Europe vivait une période de calme et de prospérité exceptionnelle, aussi bien sur le plan social que sur le plan économique.

Le travail abondait, et comme l'avait révélé le président-démocrate, si on s'en dispensait c'était nécessairement qu'on préférait consacrer sa vie au repos - cela paraît évident à nos yeux, mais à cette époque, c'était révolutionnaire.

Seuls restaient au chômage ceux qui vivaient une passion acharnée pour cette activité.

Ce choix de vie était généralement considérée favorablement par les citoyens, qui estimaient que la présence de nombreux chômeurs était un gage de bonheur et de convivialité.

La société était d'ailleurs organisée pour enrichir et protéger avec bienveillance ceux qui faisaient ce choix courageux, en leur fournissant avec libéralité des aides dégressives.

De nombreux textes montrent d'ailleurs dans le détail l'opulence des fêtes de l'abondance - les *concerts des enfoirés*, comme on disait - organisées spécialement pour les Restaus du Coeur, une sorte de Lyon's Club huppé réservé aux chômeurs les plus méritants, accessible sur invitation.

Une part non-négligeable du budget de l'état était consacrée au maintient d'une proportion immuable de militants-chômeurs dans la population, selon un principe vertueux hérité des prédécesseurs de Nicolas de Sarcotie: Valéry d'Escarres des Seins, Fransois des Mythos-Errants, Jaque de Chirague, etc.

Tout prince-démocrate se serait senti terriblement gêné si ce pourcentage avait tendu à diminuer, et des efforts acharnés étaient consentis par tous leurs collaborateurs pour que cela n'arrive à aucun prix.

Le journal de l'ANPE de cette époque (une sorte de bourse d'échange de chômeurs permettant de gérer rationellement la pénurie) fournit des chiffres très détaillés du nombre de chômeurs exigés pour chaque commune et chaque département.

On y constate que certaines communes se disputaient âprement des chômeurs de prestige.

On y rapporte aussi que des parents occupaient des écoles pour exiger la mise en place de chômeurs en fonction du nombre d'élève par classe.

Nicolas de Sarcotie suggéra qu'on s'efforce, quand c'était possible, de faire venir des chômeurs étrangers bac+7, en leur proposant le soutien économique et psychologique dont ils avaient besoin, et qu'ils ne trouvaient guère, dans leurs taudis exotiques à couleurs vives.

On appelait cette démarche *l'immigration- choisie- par- nous- tant- pis- pour- vous- désolé*, que l'on abrégeait souvent, par abus de langage,  en *les- étrangers- qui- ne- posent- pas- trop- de- problèmes- hormis- le- fait- regrettable- qu'ils- sont- noirs*.

Certains des pays d'origine de ces chômeurs immigrés, notamment les pays Afriqués finissaient d'ailleurs par s'inquiéter de cette hémorragie, et mettaient en place des mesures pour empêcher la fuite de leurs meilleurs chômeurs.

Mais ils ne pouvaient pas grand chose contre le pouvoir d'attraction de Nicolas de Sarcotie.

Quant au reste de la société, il s'adonnait avec enthousiasme et décontraction au travail en plus, ce qui avait pour effet de lui faire gagner plus, presque par inadvertance, n'eût été le fait que Nicolas de Sarcotie l'avait prédit.

Ils travaillaient plus, et ils gagnaient plus.

Tant qu'ils gagnaient, ils jouaient.

Alors ils regagnaient.

Alors ils retravaillaient.

De plus en plus.

Un truc de dingue.

Et certains accumulaient de véritables fortunes en travaillant à toute vitesse, avec les deux mains, comme des mitraillettes, parvenant parfois à l'équivalent d'un temps complet !

Le ministre Bernacle de Cochenère donnant l'exemple du travail en plus destiné à gagner plus de riz.