Quintescenteries

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vendredi 22 septembre 2006

La dame à la licorne

Maevina rentrait d'une patrouille solitaire à cheval qu'elle avait décidée pour rompre l'ennui de l'attente au palais.

Au retour, elle avait croisé ses compagnons de voyage, qui profitaient du soleil pour faire, eux aussi, travailler leurs chevaux.

"C'est impossible, s'énervait ClandestinaRBemba. On ne peut pas monter une licorne. Ou bien elle tue son cavalier, ou bien, si on l'entrave, elle se laisse mourir en quelques minutes.

- Et pourtant, je l'ai vu, répliqua Maevina. Depuis le haut le cette colline. Sept cavalières, sur six licornes blanches et une licorne noire. J'ignorais même qu'il en existât des noires. Elles se rendent semble-t-il à la convocation de la reine, comme tous les autres.

- Vous aurez vu des chevaux joliment harnachés, voilà tout. Je me souviens qu'au cours d'un voyage, j'ai assisté à un mariage où les chevaux étaient habillés de robes, et du plus beau tissu, croyez-moi. La meilleure qualité de soie et de velours, exquisément brodés.

- Je sais reconnaître un cheval lorsque j'en vois un, pour qui me prenez-vous ? répondit aigrement Maevina, agacée par son insistance. Quand vous aurez autant d'années de service dans la cavalerie que moi..."

Maevina laissa sa phrase en suspens, comme s'il était superflu de la développer.

Au bout d'un instant de silence qui pouvait paraître satisfaisant, elle ajouta néanmoins: "De plus, ces licornes-là n'avaient pas de harnachement du tout. A ce qu'il semble, elles se montent à cru, comme si elles n'étaient pas dressées, mais plutôt apprivoisées.

- Ca parait plutôt difficile à croire, intervint le capitaine qui les accompagnait. J'ai entendu dire que seules de jeunes vierges pouvaient s'en approcher, et que tout autre était impitoyablement encorné et piétiné. En province d'Estorellie, c'est même ainsi, paraît-il, qu'on s'assure de la pureté des fiancées avant le mariage.

- Eh bien, vérifiez par vous-même, répondit Maevina. Les voilà qui approchent".

Tous se retournèrent.

En effet, sept cavalières approchaient à belle allure, dans un silence impressionnant, sans soulever le moindre grain de poussière.

"Mais ce sont les armes du marquisat des Cottes d'Armure ! s'exclama soudain ClandestinaRBemba, abritant ses yeux du soleil du revers de la main.

- Vous avez raison, répondit Maevina. Il me semble bien que c'est la marquise Ludine en personne".

Les licornes approchèrent au plus près de ce que pouvaient supporter les chevaux, qui semblaient très nerveux. Les licornes, quant à elles, semblaient au contraire parfaitement tranquilles, leurs yeux pailletés de turquoise habités d'une sérénité surnaturelle et inquiétante.

Ludine, sur la licorne noire, salua les cavaliers.

"Impressionnantes montures, commenta ClandestinaRBemba.

- Notre arme la plus redoutable, acquiesça Ludine, mais difficile à utiliser.

- Une arme à double tranchant, je le crains, ajouta Maevina. J'aurais trop peur de la voir se retourner contre mes propres troupes.

- Nous avons quelques secrets, cela va de soi, expliqua Ludine. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un dressage. Nous parlons plutôt d'un pacte. Il s'agit d'un échange.

- Eh bien, qu'est-ce que nous faisons d'autre, avec nos chevaux ? objecta ClandestinaRBemba, ironique. Nous leur fournissons des picotins, ils nous transportent où nous décidons, au péril de leur vie si nécessaire.

- C'est un peu plus compliqué que cela, répondit Ludine, légèrement vexée. Nous avons notre part dans le marché, et elle nous coûte quelque chose".

Puis elle se tut, nullement décidée, à ce qu'il semblait, à en dire davantage.

"Eh bien, j'imagine que ces licornes procurent un avantage militaire, malgré tout ? demanda Maevina, conciliante.

- Il est vrai qu'il n'y a pas eu de véritable guerre depuis fort longtemps, concéda Ludine. Mais sur nos côtes, nous avons une fois exterminé plusieurs centaines de pirates expérimentés et très bien armés à nous sept, ainsi qu'il est désormais récité dans nos chroniques".

Pendant le silence qui suivit, l'attitude impressionnée des cavaliers suffit à confirmer que l'exploit était, en effet, appréciable.

lundi 18 septembre 2006

Visa pour l'image

Jeune gazettiste fraiche émoulue de l'école de journalisme, Miladee se savait promise à une fabuleuse carrière de grand reporter.

Elle avait refusé les propositions du Héraut de la Reine, le grand quotidien de la capitale, afin de conserver son indépendance.

Elle sentait que dans sa profession, son anticonformisme et sa méfiance vis-à-vis des pouvoirs pouvaient lui tenir lieu de certificat de compétence, à condition de faire preuve d'intransigeance et de professionnalisme en ce qui concernait la qualité de son travail.

Elle avait effectué quelques piges pour des quotidiens indépendants, mais son vrai rêve, c'était de faire de grands reportages en freelance, qu'elle vendrait à de grands quotidiens d'envergure nationale.

En attendant, elle apprenait son métier comme employé d'une petite feuille locale de la capitale, le Canard de la Mare (du nom du quartier de la Mare, célèbre quartier de la capitale, de grande réputation et de petite vertu).

Elle tenait une rubrique de nouvelles locales, et prétextait souvent le besoin de recueillir un témoignage pour parcourir son quartier, son antique graphoscope à soufflet autour du cou.

Ses meilleurs reportages avaient été tirés de rencontres impromptues dans la rue, bien que ses employeurs lui fassent les gros yeux à chaque fois qu'elle s'écartait du sujet qui lui avait été assigné.

Mais les lecteurs appréciaient ses papiers, et le faisaient savoir, aussi elle avait rapidement obtenu un certain respect, et le droit de conserver sa liberté.

Par ailleurs, le Canard de la Mare était plutôt apprécié dans les milieux dans lesquels elle évoluait, et sa carte de presse servait assez facilement de sésame - au moins dans les conversations de comptoir.

Elle s'était ainsi constitué un réseau d'indicateurs plutôt bien informés qui n'auraient pas fait rougir les fonctionnaires de la police de la Reine.

Évidemment, quand on était journaliste dans le royaume, il fallait faire attention.

La presse était surveillée, il ne fallait pas manquer de respect à la Reine, au gouvernement ou aux notables.

Du moins, sans un dossier solide et irréfutable, et sans avoir sa valise prête pour un exil précipité.

Mais en ce moment, ces restrictions étaient le cadet des soucis de Miladee.

Elle profitait d'un moment de liberté pour parcourir les rues et mitrailler bêtes et gens avec son graphoscope.

Elle poussa la porte d'un café où elle avait ses habitudes

Le troquet était plein des habitués habituels, qui étaient pleins eux-mêmes, et qui la saluèrent bruyamment, sans lâcher leur partie de cartes ou de tric-trac.

Quelques piliers du comptoir faisaient la conversation avec la serveuse, une fille qui aurait pu être jolie si avait été moins fatiguée et désabusée.

Miladee commanda un café

En examinant ses compagnons d'un instant, Miladee reconnut Pif-Rouge.

Ce n'était pas son nom, bien sûr, mais Miladee avait oublié le vrai, et elle trouvait que décidément, il ne pouvait en revendiquer un de plus approprié.

"Tout le monde est venu à la fête, dit-elle ironiquement, pour engager la conversation. C'est encore mieux qu'au palais ! On va s'amuser comme des fous, ici !

- Bof, tu sais, répondit Pif-Rouge, faisant visiblement un effort pour mouvoir sa bouche pâteuse, je ne suis pas sûr que la convocation au palais soit pour une fête, ça non.

- Et pourquoi d'autre, sinon ?

- A ce qu'on dit, toute la noblesse est venue en armes. Normalement, les armes sont interdites au palais, à l'exception de celles de la garde royale. Ce que je dis, moi, c'est qu'il se prépare une guerre.

- Une guerre avec qui ? répliqua la serveuse, sceptique. Depuis le traité des sept royaumes, il y a trois cent cinquante ans, il n'y a plus de guerre. Les soldats ne savent même plus comment s'y prendre.

- Je sais ce que je dis, répondit Pif-Rouge, vexé. Mon cousin est palefrenier aux écuries royales. On leur a tous fait promettre de ne pas en dire un mot, mais le cousin Louis, au bout de deux choppes, il ne sait plus tenir sa langue, finit-il en éclatant de rire.

- C'est vrai, les sept royaumes sont en paix depuis longtemps, intervint Miladee. Avec qui la Reine pourrait-elle vouloir commencer une guerre ?

- Ah, ça, répondit Pif-Rouge, ironique, t'as qu'à lui demander.

- Je vais demander qu'on me fasse annoncer, répliqua Miladee sur le même ton."

Elle finit son café, salua distraitement la compagnie, et sortit, songeuse.

Elle se disait qu'il fallait absolument qu'elle trouve un moyen d'entrer au palais.

mardi 12 septembre 2006

La vague

Quand la "Danse des Sept Voiles" se retourna, Ph&-no se reposait dans sa cabine de capitaine.

Elle sut immédiatement que quelque chose de grave était arrivé.

Elle sentait quelque chose de chaud et de poisseux couler le long de son visage - un peu de sang qui coulait de son front.

Bah, elle s'en sortirait avec une nouvelle balâfre.

Elle avait l'habitude.

Il faisait complètement noir dans la cabine, et apparemment, elle était allongée inconfortablement sur le plafond, qui se trouvait à présent en dessous d'elle.

"Le bateau", pensa-t-elle immédiatement.

Mais pour le moment, ce qu'elle pouvait faire, c'était chercher à identifier sa position et trouver un passage vers la passerelle.

On commençait à entendre des cris de l'équipage, et surtout des jurons.

Plutôt bon signe, pensa-t-elle. S'ils râlent, c'est qu'ils ne vont pas si mal que ça.

"Bon sang, grommela-t-elle, le météographiste avait promis une mer d'huile pour toute la traversée !".

Ca faisait pas mal de temps qu'elle navigait sur toutes les mers, mais elle ne se souvenait pas avoir été secouée de cette manière.

Il y eut un énorme craquement, et le bateau recommença à basculer, pour revenir dans sa position normale.

Ph&-no se sentit glisser sans pouvoir arrêter sa chute, ignorant sur quoi elle allait se recevoir.

Soudain, Ph&-no se retrouva sur le dos, le souffle coupé.

Elle se rendit compte qu'elle était revenue en travers de sa couchette.

Elle se retint de hurler.

Son bras la faisait souffrir, et il lui semblait en position anormale.

Elle se dit qu'il devait être démis.

Elle espérait qu'il n'était pas cassé.

Elle n'avait vraiment pas besoin de ça maintenant.

Le bateau était d'aplomb, mais continuait à bouger beaucoup.

Elle avait un sérieux mal de mer.

Son corps appuyait sur son bras blessé, et la douleur devenait atroce.

Elle se sentit partir, et s'évanouit.

jeudi 7 septembre 2006

Un bruissement d'aile de papillon

Aussitôt qu’on lui eut indiqué ses appartements dans le palais, sire Breizhblog (ou plutôt, de son véritable nom Ar Valafenn d’Armoricie) abandonna ses gens à l’installation de sa maison, et se mit à explorer méthodiquement le château, afin de vérifier le trouble que sa légendaire jupe à carreaux produisait invariablement sur la gent féminine.

Car si chacun sait l’intérêt que les garçons portent à ce qui se cache sous les jupes des filles, cette curiosité est peu de chose en comparaison de celle que les filles vouent à ce qui se cache sous les jupes des garçons !

Et de filles de toutes sortes, le palais n’en manquait pas en ce moment, et si l’humeur générale était davantage à la préparation d’aventures guerrières, il est notoire que les guerriers sont des jeunes gens et des jeunes filles qu’aucune sorte d’aventure ne saurait rebuter.

Une belle assurance, non dénuée d’un soupçon d’arrogance lui laissait à penser qu’il s’en trouverait surement quelques-unes désireuses de s’initier avec lui à l’art du biniou armoricien.

Ou, du sac-à-pipes, comme on disait dans en dialecte saxangloyen.

Car le sire Ar Valafenn était versé dans l’art des langues, non seulement dans la langue officielle du royaume et dans les dialectes gutturaliques pratiqués dans les terres d’Armoricie, mais dans de nombreux langages de principautés éloignées de l’Insularie angloyenne.

Il se flattait en outre de savoir utiliser sa langue de mille autres manières.

D'ordinaire, Ar Valafenn fréquentait plutôt les dames de sa qualité, auprès desquelles sa virile prestance faisait des merveilles.

Dernièrement, il avait croisé ClandestinaRBemba, et malgré une rencontre un peu houleuse, il s'était promis de se faire mieux connaitre de la jeune personne.

Il avait également assisté à l'arrivée spectaculaire de Lili au commandes de son dirigeable, et avait noté dans un coin secret et hypertrophié de son cerveau que cette dame était également digne d'intérêt.

Car Ar Valafenn se passionnait pour le fonctionnement des femmes de forte personnalité, qu'il mettait une soin minutieux à étudier, se considérant légitimement comme un érudit en la matière.

Mais il estimait aussi qu'il se devait à tout le monde, et ne se soustrayait jamais à l'obligation sacrée de diffuser à l'occasion ses gènes auprès de la gent servile, pourvu qu'elle fût féminine.

Justement, cette nuit-là, il explorait les cuisines du palais afin d'en étudier la population femelle avec une minutie scientifique.

Il n'eut guère de mal à subjuguer une fille des cuisines, aux formes prometteuses et au regard plein de réconfortante naiveté.

Ar Valafenn s'apprêta à disposer de sa proie, ainsi qu'il revient au chasseur victorieux, ce à quoi celle-ci consentait volontiers.

Soudain, une sorte de grondement monstrueux sembla s'élever de l'abîme, loin en dessous des cuisines.

Une sorte de chant suraigü, aux paroles ininteligibles, issu de gorges inhumaines s'éleva.

Une partie du mur sembla rougeoyer, puis des lettres flamboyantes se mirent à apparaître et à s'effacer, d'un alphabet inconnu.

Puis, progressivement, les letttres semblèrent plus familières.

Enfin, Ar Valafenn reconnut quelques mots, Porte, Ouvrir, Souverain.

Et soudainement, tout cessa, laissant un silence presque douloureux, et un mur lisse.

Ar Valafenn effleura le mur, qui était glacé.

La fille s'était enfuie depuis longtemps, et c'était aussi bien, car Ar Valafenn se sentait désormais trop piteux pour consommer ses amours ancillaires.

Son éternelle bonne humeur désormais teintée d'idées sombres et inquiètes, il se promit de prendre davantage de renseignements sur les motifs de la convocation de la reine.