Jeune gazettiste fraiche émoulue de l'école de journalisme, Miladee se savait promise à une fabuleuse carrière de grand reporter.

Elle avait refusé les propositions du Héraut de la Reine, le grand quotidien de la capitale, afin de conserver son indépendance.

Elle sentait que dans sa profession, son anticonformisme et sa méfiance vis-à-vis des pouvoirs pouvaient lui tenir lieu de certificat de compétence, à condition de faire preuve d'intransigeance et de professionnalisme en ce qui concernait la qualité de son travail.

Elle avait effectué quelques piges pour des quotidiens indépendants, mais son vrai rêve, c'était de faire de grands reportages en freelance, qu'elle vendrait à de grands quotidiens d'envergure nationale.

En attendant, elle apprenait son métier comme employé d'une petite feuille locale de la capitale, le Canard de la Mare (du nom du quartier de la Mare, célèbre quartier de la capitale, de grande réputation et de petite vertu).

Elle tenait une rubrique de nouvelles locales, et prétextait souvent le besoin de recueillir un témoignage pour parcourir son quartier, son antique graphoscope à soufflet autour du cou.

Ses meilleurs reportages avaient été tirés de rencontres impromptues dans la rue, bien que ses employeurs lui fassent les gros yeux à chaque fois qu'elle s'écartait du sujet qui lui avait été assigné.

Mais les lecteurs appréciaient ses papiers, et le faisaient savoir, aussi elle avait rapidement obtenu un certain respect, et le droit de conserver sa liberté.

Par ailleurs, le Canard de la Mare était plutôt apprécié dans les milieux dans lesquels elle évoluait, et sa carte de presse servait assez facilement de sésame - au moins dans les conversations de comptoir.

Elle s'était ainsi constitué un réseau d'indicateurs plutôt bien informés qui n'auraient pas fait rougir les fonctionnaires de la police de la Reine.

Évidemment, quand on était journaliste dans le royaume, il fallait faire attention.

La presse était surveillée, il ne fallait pas manquer de respect à la Reine, au gouvernement ou aux notables.

Du moins, sans un dossier solide et irréfutable, et sans avoir sa valise prête pour un exil précipité.

Mais en ce moment, ces restrictions étaient le cadet des soucis de Miladee.

Elle profitait d'un moment de liberté pour parcourir les rues et mitrailler bêtes et gens avec son graphoscope.

Elle poussa la porte d'un café où elle avait ses habitudes

Le troquet était plein des habitués habituels, qui étaient pleins eux-mêmes, et qui la saluèrent bruyamment, sans lâcher leur partie de cartes ou de tric-trac.

Quelques piliers du comptoir faisaient la conversation avec la serveuse, une fille qui aurait pu être jolie si avait été moins fatiguée et désabusée.

Miladee commanda un café

En examinant ses compagnons d'un instant, Miladee reconnut Pif-Rouge.

Ce n'était pas son nom, bien sûr, mais Miladee avait oublié le vrai, et elle trouvait que décidément, il ne pouvait en revendiquer un de plus approprié.

"Tout le monde est venu à la fête, dit-elle ironiquement, pour engager la conversation. C'est encore mieux qu'au palais ! On va s'amuser comme des fous, ici !

- Bof, tu sais, répondit Pif-Rouge, faisant visiblement un effort pour mouvoir sa bouche pâteuse, je ne suis pas sûr que la convocation au palais soit pour une fête, ça non.

- Et pourquoi d'autre, sinon ?

- A ce qu'on dit, toute la noblesse est venue en armes. Normalement, les armes sont interdites au palais, à l'exception de celles de la garde royale. Ce que je dis, moi, c'est qu'il se prépare une guerre.

- Une guerre avec qui ? répliqua la serveuse, sceptique. Depuis le traité des sept royaumes, il y a trois cent cinquante ans, il n'y a plus de guerre. Les soldats ne savent même plus comment s'y prendre.

- Je sais ce que je dis, répondit Pif-Rouge, vexé. Mon cousin est palefrenier aux écuries royales. On leur a tous fait promettre de ne pas en dire un mot, mais le cousin Louis, au bout de deux choppes, il ne sait plus tenir sa langue, finit-il en éclatant de rire.

- C'est vrai, les sept royaumes sont en paix depuis longtemps, intervint Miladee. Avec qui la Reine pourrait-elle vouloir commencer une guerre ?

- Ah, ça, répondit Pif-Rouge, ironique, t'as qu'à lui demander.

- Je vais demander qu'on me fasse annoncer, répliqua Miladee sur le même ton."

Elle finit son café, salua distraitement la compagnie, et sortit, songeuse.

Elle se disait qu'il fallait absolument qu'elle trouve un moyen d'entrer au palais.