Maevina rentrait d'une patrouille solitaire à cheval qu'elle avait décidée pour rompre l'ennui de l'attente au palais.

Au retour, elle avait croisé ses compagnons de voyage, qui profitaient du soleil pour faire, eux aussi, travailler leurs chevaux.

"C'est impossible, s'énervait ClandestinaRBemba. On ne peut pas monter une licorne. Ou bien elle tue son cavalier, ou bien, si on l'entrave, elle se laisse mourir en quelques minutes.

- Et pourtant, je l'ai vu, répliqua Maevina. Depuis le haut le cette colline. Sept cavalières, sur six licornes blanches et une licorne noire. J'ignorais même qu'il en existât des noires. Elles se rendent semble-t-il à la convocation de la reine, comme tous les autres.

- Vous aurez vu des chevaux joliment harnachés, voilà tout. Je me souviens qu'au cours d'un voyage, j'ai assisté à un mariage où les chevaux étaient habillés de robes, et du plus beau tissu, croyez-moi. La meilleure qualité de soie et de velours, exquisément brodés.

- Je sais reconnaître un cheval lorsque j'en vois un, pour qui me prenez-vous ? répondit aigrement Maevina, agacée par son insistance. Quand vous aurez autant d'années de service dans la cavalerie que moi..."

Maevina laissa sa phrase en suspens, comme s'il était superflu de la développer.

Au bout d'un instant de silence qui pouvait paraître satisfaisant, elle ajouta néanmoins: "De plus, ces licornes-là n'avaient pas de harnachement du tout. A ce qu'il semble, elles se montent à cru, comme si elles n'étaient pas dressées, mais plutôt apprivoisées.

- Ca parait plutôt difficile à croire, intervint le capitaine qui les accompagnait. J'ai entendu dire que seules de jeunes vierges pouvaient s'en approcher, et que tout autre était impitoyablement encorné et piétiné. En province d'Estorellie, c'est même ainsi, paraît-il, qu'on s'assure de la pureté des fiancées avant le mariage.

- Eh bien, vérifiez par vous-même, répondit Maevina. Les voilà qui approchent".

Tous se retournèrent.

En effet, sept cavalières approchaient à belle allure, dans un silence impressionnant, sans soulever le moindre grain de poussière.

"Mais ce sont les armes du marquisat des Cottes d'Armure ! s'exclama soudain ClandestinaRBemba, abritant ses yeux du soleil du revers de la main.

- Vous avez raison, répondit Maevina. Il me semble bien que c'est la marquise Ludine en personne".

Les licornes approchèrent au plus près de ce que pouvaient supporter les chevaux, qui semblaient très nerveux. Les licornes, quant à elles, semblaient au contraire parfaitement tranquilles, leurs yeux pailletés de turquoise habités d'une sérénité surnaturelle et inquiétante.

Ludine, sur la licorne noire, salua les cavaliers.

"Impressionnantes montures, commenta ClandestinaRBemba.

- Notre arme la plus redoutable, acquiesça Ludine, mais difficile à utiliser.

- Une arme à double tranchant, je le crains, ajouta Maevina. J'aurais trop peur de la voir se retourner contre mes propres troupes.

- Nous avons quelques secrets, cela va de soi, expliqua Ludine. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un dressage. Nous parlons plutôt d'un pacte. Il s'agit d'un échange.

- Eh bien, qu'est-ce que nous faisons d'autre, avec nos chevaux ? objecta ClandestinaRBemba, ironique. Nous leur fournissons des picotins, ils nous transportent où nous décidons, au péril de leur vie si nécessaire.

- C'est un peu plus compliqué que cela, répondit Ludine, légèrement vexée. Nous avons notre part dans le marché, et elle nous coûte quelque chose".

Puis elle se tut, nullement décidée, à ce qu'il semblait, à en dire davantage.

"Eh bien, j'imagine que ces licornes procurent un avantage militaire, malgré tout ? demanda Maevina, conciliante.

- Il est vrai qu'il n'y a pas eu de véritable guerre depuis fort longtemps, concéda Ludine. Mais sur nos côtes, nous avons une fois exterminé plusieurs centaines de pirates expérimentés et très bien armés à nous sept, ainsi qu'il est désormais récité dans nos chroniques".

Pendant le silence qui suivit, l'attitude impressionnée des cavaliers suffit à confirmer que l'exploit était, en effet, appréciable.