Quintescenteries

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vendredi 21 juillet 2006

La fureur de vivre

Moi, j'ai rencontré quintescent à Watkins Glen, au Grand-Prix des Etats-Unis en 1973, l'année de l'accident de François Cevert.
La course automobile, et particulièrement la formule 1, c'est toute ma vie, et presque tous les voyages que j'ai faits, c'était en reportage pour couvrir les courses sur les circuits du Monde entier.
Les plus belles bimbos du monde, je les ai vues à travers mon objectif.
Quand vous fréquentez ce milieu (ou n'importe quel milieu, d'ailleurs) pendant un certain temps, vous finissez par connaître pas mal de monde.
Avec ma carte de presse, j'avais mes entrées dans les paddocks, et certains pilotes finissaient pas être de véritables amis - après tout, j'étais dans le business depuis plus longtemps qu'eux.

A l'époque, bien sûr, on parlait beaucoup de François Cevert.
C'était la star de l'automobile pour les français.
Avec sa gueule d'ange et son caractère d'adolescent turbulent, et surtout son extraordinaire talent de pilote, que personne n'osait plus mettre en doute, il laissait espérer qu'on avait enfin trouvé le premier champion du monde de formule 1 français de l'Histoire (c'était longtemps avant Alain Prost).

Le grand public n'avait pas encore beaucoup entendu parler de quintescent, mais les professionnels des paddocks n'avaient que son nom à la bouche.
A cette époque, il était seulement pilote-essayeur chez Tyrell, mais ceux qui l'avaient vu sur un circuit affirmaient que malgré son jeune âge, il montrait beaucoup plus de talent que tous les autres - Cevert compris.
De plus, tout le monde lui reconnaissait un don exceptionnel de metteur au point, un talent qui comptait au moins autant pour la course que l'agressivité ou la finesse du pilotage.
D'ailleurs, malgré son peu d'expérience, c'est lui qui assurait la mise au point des machines de l'écurie avant les courses.

Je pense que sentir la présence virtuelle de quintescent sur ses talons pour le titre de premier pilote mettait pas mal de pression sur François Cevert (sans insinuer que cela a été la cause de son accident).
Les pilotes sont des types un peu hors du commun, et la vie à 300 à l'heure, avec une pression permanente, c'est leur quotidien, ça leur est même nécessaire, c'est ce qui les fait tenir en l'air.
Et parfois, c'est ce qui les tue.

Je ne sais pas si vous allez me croire, ou vous dire que c'est facile d'avoir des prémonitions a posteriori, mais ce jour-là, je trouvais que François n'était pas comme les autres jours.
Je savais qu'il y avait eu des discussions avec les patrons de l'écurie au cours de la semaine, à propos de la stratégie pour les saisons à venir.
J'avais trouvé François plus sombre que d'habitude, sans deviner qu'un drame était sur le point de se jouer.

En contraste, quintescent, qui participait également à ces discussions paraissait plutôt euphorique.
C'est à cette occasion qu'on me l'avait présenté, et que j'avais obtenu un tout premier (et très court) interview.
En fait, il n'avait rien révélé de significatif (pour un débutant, il maîtrisait déjà très bien la langue de bois).
Au bout du compte j'avais obtenu quelques petites phrases anodines, quelques photos, assez pour un petit papier de routine, je pouvais être satisfait.
Il faut dire qu'il était sacrément photogénique, le bougre.

A cette époque-là, les formule 1 étaient de véritables bombes roulantes, presque aussi rapides qu'aujourd'hui, mais sans presque aucune protection contre les chocs et surtout contre les incendies.
Le moindre indicent donnait de très grandes chances d'y rester, dans d'épouvantables souffrances et d'atroces brûlures.
A bien y réfléchir, je suppose que c'est aussi ce qui rendait les pilotes sexy, comme les matadors ou les gladiateurs quand ils descendent jouer avec leur vie.

Après l'accident de François, il semble que quintescent a complètement perdu sa motivation.
Les directeurs de l'écurie ont essayé de le convaincre de continuer - forcément, c'était un coup dur de perdre leurs deux meilleurs pilotes d'un coup, mais il n'avait plus l'étincelle.
Il est resté un peu de temps dans les équipes techniques de l'écurie, puis a rapidement laissé tomber complètement le milieu.

Récemment, un confrère qui faisait une enquête sur l'histoire de la course automobile a retrouvé sa trace.
Il paraît qu'il s'est reconverti, il est devenu éleveur de brebis dans le Galeizon.
Il passe des journées entières sans entendre un moteur, et il est heureux.

jeudi 20 juillet 2006

mon guide

Moi, j'ai connu quintescent sur la place Rouge.
Qui ce jour-là était toute blanche, à cause de la neige qui faisait comme un tapis.

Je me souviens, ça devait être un dimanche.
Je regardais sa silhouette alors qu'il marchait devant moi.
C'était mon guide, et je trouvais que son nom était joli: quintescent.

J'adorais sa façon passionnée de parler de la révolution d'octobre quand nous avons visité le mausolée de Lénine.
Et après, nous avons filé boire un chocolat chaud, dans un café à écrivains.

Il avait un sourire !
Et des cheveux blonds !

Il était encore étudiant, quintescent.
C'était incroyable de voir le nombre de camarades qui pouvaient entrer dans sa minuscule chambre de bonne, à rire et à bavarder avec curiosité.
J'étais un peu la vedette, et jusqu'au bout de la nuit, je leur ai raconté comment c'était, Paris.

On a dansé, et bu pas mal aussi.
Ils avaient même réussi à mettre la main sur une bouteille de Champagne, dans lequel tout le monde a pu tremper les lèvres.

Puis tout le monde a fini par partir, et nous sommes restés tous les deux, quintescent et moi, seuls au monde.

Depuis, je crève de l'attendre.
Mais je sais qu'un jour il viendra.
Il me l'a promis, cette nuit-là.

mercredi 19 juillet 2006

la nostalgie, camarade

Moi, j'ai connu quintescent à Biénoa, pas très loin de Saïgon.

Lulu la Nantaise tenait la taule la plus connue de toute la colonie occidentale d'indochine, un établissement dans lequel tout gentleman avec la moindre notion du respect des conventions et de la bien séance se devait de faire un séjour.

Tout le monde connaissait ses volets rouges et les cheveux blonds de la taulière.
Avec elle, il y avait intérêt à filer droit si on voulait garder ses entrées parmi les gens de qualité.

Et des gens de qualité, il n'en manquait pas.
Et avec une belle descente, vous vouvez me croire.

Comme monsieur Naudin, par exemple, capable de descendre dans la dignité ses trois bouteilles de limonade dans la soirée sans sauter son tour aux cartes.
Un homme comme on en fait plus, je vous le dis.
Dans les transports, il était, on disait qu'il transportait avec quintescent quelques paquetages de piastres et d'opium à travers la jungle.

Ou Lucien-le-cheval, un drôle de gaillard dégingandé, qui s'y entendait pour faire travailler des jeunes filles indigènes.
Vous pourviez tout lui demander, si vous aimiez les fleurs fraîches.
Quintescent n'avait pas son pareil pour lui dégotter des orchidées rares dans les villages reculés.
Un grand bonhomme, mais qu'il s'était fait quelques ennemis, et qui a fini dans un malheureux accident, à la dynamite.

Et puis les corses, les frères Volfoni, qui étaient eux aussi dans les affaires avec quintescent.

Et Jo le trembleur, un artiste de l'alambic, qui produisait la gnôle de l'établissement, et la meilleure de tout l'extrème Orient.
En tous cas, personne n'était jamais venu se plaindre.

Quintescent-l'élégant passait au milieu de tout ce beau monde, toujours tiré à quatre épingles dans son complet blanc, avec ses chaussures bicolores impeccablement cirées et sa moustache bien repassée.
C'était un monsieur, il rendait des services, sans jamais perdre son calme.
On disait que c'était lui qui avait fait venir Teddy-de-Montréal, un artiste, lui aussi, un gars que le climat rendait tout le temps énervé.

Toute une époque...