Quintescenteries

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mercredi 31 janvier 2007

Le trombino

Je n'arrête plus de penser à la femme du miroir.

Je me demande si mes collègues se posent des questions à propos du temps que je passe dans les toilettes.

Heureusement pour moi, je pense qu'en fait, qu'ils n'en ont rien à foutre et qu'ils n'ont rien remarqué.

Je ne contrôle pas vraiment le moment que j'observe, ni la durée de la scène qui m'apparaît, mais dans une certaine mesure, je peux choisir entre les événements anciens ou plus récents.

J'ai beau essayer, je n'ai pas réussi à retrouver un seul instant où l'inconnue a pu repasser dans ces toilettes.

J'imagine que ça signifie que ce n'était pas quelqu'un qui travaillait dans ce service, mais que c'était plutôt une visiteuse de passage.

En réalité, je n'arrive même pas à retrouver la scène où je l'ai découverte, et où elle est passée devant ce miroir pour la première fois.

Je dois me contenter de ce que ma mémoire me restitue.

En tous cas, ce qui est sûr, c'est qu'elle ne travaille pas dans ce service actuellement.

Je ne suis même pas sûr que la scène se déroulait alors que les locaux étaient déjà occupés par ma boîte actuelle.

D'après ce que j'ai entendu dire, l'immeuble a été autrefois un hôtel particulier, transformé en hôtel de tourisme après la guerre, et en immeuble de bureaux ensuite.

Mais la femme que j'ai aperçue avait des vêtements plutôt modernes.

Je me creuse la tête pour cuisiner les collègues qui sont dans le service depuis plus longtemps que moi, sans éveiller leurs soupçons.

Pour le moment, ça n'a rien donné.

A force de poser des questions, j'ai appris qu'il y avait un trombinoscope accessible sur le réseau, avec les photos de mes collègues.

Pas très complet, et pas très à jour, hélas.

Je l'ai parcouru attentivement, mais je n'ai trouvé aucune trace de mon inconnue.

Accessoirement, ce temps passé dans les toilettes m'a quand même permis d'en découvrir de belles sur certains de mes collègues.

La discrète intimité des lieux d'aisance convient à faire, pour certains, un parfait nid d'amour entre garçons, pour quelques personnes dont je ne soupçonnais d'ailleurs pas du tout l'inclination.

Personnellement, j'ai toujours trouvé que l'odeur d'urine rance était un parfait tue-l'amour, mais, bon, chacun ses fantasmes.

samedi 27 janvier 2007

La femme dans le miroir

Une fois, par le miroir, j'ai vu entrer une jeune femme dans les toilettes.

Ce n'est pas très courant de voir des femmes entrer dans les toilettes des hommes.

Les seules femmes que je vois passer, d'habitude, ce sont les femmes en blouse de l'entretien.

Par chance (peut-être) personne d'autre n'est entré dans les toilettes pendant son passage.

Cette femme-ci avait n'avait pas l'air très en forme.

Son maquillage avait coulé, elle semblait avoir pleuré.

D'ailleurs, pendant le cours instant où elle a séjourné devant le miroir, elle a pleuré plusieurs fois.

Elle avait les yeux clairs, et très rougis.

Et des cheveux châtains clair.

Plutôt mignonne en fait, sous son masque désespéré.

Elle portait une robe rouge et noire, ces couleurs qui vont si bien aux femmes qui pleurent.

Elle parlait au miroir, en s'adressant visiblement à un absent, avec un air de reproche, jusqu'à la crise de larmes suivante.

A un instant, elle a fouillé un long moment dans son sac.

Dans son énervement, elle semblait avoir des difficultés à trouver ce qu'elle cherchait.

Finalement, elle a sorti un petit couteau à lame pliante.

J'étais surpris qu'il puisse y avoir de tels objets dans un sac de dame.

Mon cœur s'était mis à battre.

Devant mon miroir, j'étais impuissant.

Je lui criais en silence "Allez, bon sang, ne fais pas de bêtise !".

Elle est restée longtemps devant le lavabo, regardant le couteau, comme fascinée.

Elle passait son doigt sur la lame, pour en éprouver le tranchant.

Puis, elle s'est ravisée, a replié la lame et rangé le couteau.

Elle s'est remaquillée rapidement, et elle est ressortie.

L'image s'est effacée, et je me suis retrouvé face à mon image, un peu hébété, attendant que les battements de mon cœur se calment.

Je me disais qu'il fallait absolument que je sache qui était cette femme, si elle était encore en vie, et ce qu'elle était devenue.

lundi 15 janvier 2007

Le miroir

Il y a, dans l'immeuble du bureau où je travaille, un miroir très spécial.

Si je me concentre intensément, mon image disparaît, et je vois le reflet des personnes qui se sont succédées à cet endroit depuis que le miroir a été installé.

On ne voit pas les gens dans leurs moments les plus intimes: le miroir est situé dans la partie "publique" des toilettes, devant les lavabos, là où on se lave les mains et où on renoue sa cravate.

Je vois les types du ménage, jour après jour:

Des vieilles dames fatiguées, en blouse de la maison, aux temps les plus anciens.

Et dans les périodes plus récentes, des types immigrés, en uniforme de la société prestataire.

Je peux même voir l'époque où la société titulaire du contrat a changé: le logo sur la poitrine a changé de côté.

Avec un peu d'habitude, je peux choisir assez finement la période que je contemple.

Je peux dire si c'est l'hiver ou l'été rien qu'en regardant comment les gens sont habillés.

Au mois d'août, l'encadrement est en vacances, les cravates disparaissent.

Je vois, à partir du 11 septembre, les rondes des vigiles la nuit.

Je vois les changements de réglementation, l'installation des veilleuses de sécurité.

J'ai même aperçu la visite du comité d'hygiène et de sécurité, juste avant.

C'était en quelle année ?

En tous cas, ici, il ne fait jamais jour.

Il n'y a que la lumière électrique.

Je vois les changements des systèmes d'essuie-mains: les distributeurs de papiers, les enrouleurs de tissus.

Et je vois à chaque fois les types qui rouspètent parce qu'il n'y a plus d'essuie-mains: Un seul pour l'étage, ce n'est pas suffisant.

Mais ça, personne n'en a rien à foutre.

Je vois des types qui viennent vider leurs tasses de café froid.

Puis des gobelets, plus tard, quand ils ont installé la machine.

J'ai vu tous les systèmes de désodorisants qui ont été essayés: Les bombes, les mèches plongeant dans les liquides, les vaporisateurs électriques, les blocs qui fondent lentement.

Mais je peux vous le dire: ça pue toujours autant.

Il y a eu des toilettes bouchées, une fois, je pense.

Les types de l'entretien ne se sont pas emmerdés (c'est l'occasion de le dire): Ils ont balancé une quantité hallucinante de produit déboucheur, qu'ils devaient stocker dans un coin pour une telle occasion.

Ca a dû déborder partout et attaquer les carrelages.

Je comprends maintenant pourquoi il reste des traces blanches indélébiles sur les petits carreaux gris.