J'habite juste à côté de l'église du village.

Enfin, en réalité, j'habite une petite ville de 30 000 habitants, mais cette dernière est inopinément sortie de terre il y a trente-cinq ans, au milieu d'un champ, dans un petit village de cambrousse d'Ile-de-France.

C'est devenu une "ville nouvelle".

Ou plus exactement, l'élément misérable de la ville nouvelle, celle qui sert de cité-dortoir aux ouvriers qui vont travailler à Paris chaque matin.

Bref, le village est resté, avec les grandes barres des cités de banlieue tout autour, et avec son église, que je suis juste à côté.

C'est flèché partout: "le village".

Même le cimetière est joliment baptisé "le village", pour que les vieux habitants sachent à quoi s'en tenir sur ce qu'on attend d'eux.

Bon, évidemment, les promoteurs récupèrent les vieilles maisons petit à petit, démolissent et font de beaux immeubles de deux étages, comme c'est la mode maintenant, pour les HLM.

Le temps est avec eux. La mairie est avec eux. Ils ne sont pas pressés.

A 200 mètres d'un terminus de RER et 100 mètres d'une base de loisirs, ça part comme des petits pains.

La population de la ville n'est pas très catholique, à l'exception des antillais, des vieux immigrés portugais (qui forment maintenant le gros de la population "française" de souche), des (encore plus) vieux paysans retraités qui habitaient le village avant la ville nouvelle.

Et malgré tout, je peux vous dire que l'église n'a pas le temps de refroidir, le samedi.

C'est incroyable comme on se marie à tour de bras en ce moment.

J'entends... d'abord rien, c'est assez calme chez moi. La circulation lointaine.

Puis les cloches, à toute volée, deux trois minutes.

Puis des klaxons, pendant un moment.

Puis, ça se calme.

C'est la fournée suivante.

La nationale traverse la ville par le milieu (et peut-être, bientôt, l'autoroute).

L'église est d'un côté de la route, et la mairie de l'autre côté, à cinquante mètres environ.

Pour traverser, quand on est piéton, il y a un petit tunnel, qui passe sous la quatre-voies.

Les voitures, elles, ont un pont, qui passe au dessus.

Ca fait un cortège pavoisé de voitures qui klaxonnent (mais vous avez l'habitude).

Parce que le mariage provoque de grandes réjouissances, ce qui ne lasse jamais de m'étonner, car si je comprends qu'autrefois on se réjouissait de l'union de deux fortunes et de belles terres, je vois bien qu'à présent les témoins et l'assistance n'a aucune part aux avantages fiscaux procurés par la démarche.

Mais, bon, cela ne nous regarde pas.

Par un hasard insolite, je n'habite pas à côté de la mosquée. Je ne doute pas qu'il y en ait une, mais je ne me suis jamais soucié de la localiser.

J'ai malgré tout déjà croisé de bruyants cortèges qui ne semblaient pas se diriger vers l'église, et j'ai pris la liberté d'en déduire que là aussi, on procédait à cette sorte de cérémonie.

Il semble qu'il y ait aussi qu'il y ait au moins une synagogue, puisque ma ville est célèbre pour en avoir incendié une, il y a quelques années.

Je ne sais pas grand chose des coutumes qui se rapportent à ces établissements (puisque le hasard ou quelque volonté divine a voulu que je n'habitasse point en leur proximité ), et je ne sais si le cortège klaxonnant y est également pratiqué.

Toute considération théologique mise à part, je trouve qu'il s'agirait alors d'une magnifique démonstration d'oeucuménisme.

Mais en y réfléchissant, de l'oeucuménisme, peu me chaut.

Je m'accommode donc de ces voisins bruyants et fervents (au moins pour la durée du rite), en me disant qu'à défaut de prendre part à leur bonheur, le hasard (ou quelque intervention divine) a voulu me préserver de la tentation d'une ironie cynique en me faisant habiter loin du palais de justice où on prononce les divorces.

Tiens, et si j'allais au café, juste à côté de l'église, pour gueuler "vive la mariée" au passage ?