Moi, j'ai rencontré quintescent derrière le rideau de fer, juste après le printemps de Prague.

Le vent de l'histoire avait soufflé sur la Tchécoslovaquie, cette année-là.
C'était la fin de l'époque de Khrouchtchev, et après la déstalinisation, ça changeait aussi du côté de l'union soviétique.

Les dirigeants du parti communiste tchèque croyaient vraiment que les beaux jours du socialisme étaient arrivés, ouvrant une ère de paix et de justice pour le monde.

A Prague, ce printemps-là, l'ambiance était formidable.
Les gens se souriaient dans la rue, on osait, les idées bouillonnaient, tout le monde était enthousiaste.
On ne se cachait même plus pour parler d'avenir et de liberté.
On parlait même de quintescent ouvertement dans la rue, alors que c'était interdit depuis la fin de la guerre.
Moi-même, je me souviens des lettres exaltées que j'écrivais à mes camarades universitaires à Moscou.
Le parti communiste tchèque se sentait pousser des ailes, et entreprenait réforme sur réforme.
Et puis un matin, les Russes sont arrivés.
Enfin, les Russes, dans mon coin, ils parlaient surtout allemand, c'était des allemands de l'Est, tous jeunes, des appelés.

Pour des anciens résistants comme nous, je vous prie de croire que ça faisait quelque chose de revoir des allemands dans un char.
Mais au bout du compte, on faisait comme tout le monde: on disait "les Russes".

Ils ont vite remis de l'ordre, arrêté les principaux dirigeants communistes tchèques, pour les remplacer par des communistes aux ordres de Moscou.

A Prague, il y avait un char à chaque carrefour.

Dans les universités aussi, il y a eu pas mal d'arrestations.
Des collègues dont on n'a plus jamais entendu parler.
Surtout les historiens et les gens de spectacle, enfin, tous ceux qui avaient un contact avec le public ou la politique.

Les dirigeants du nouveau parti communiste tchèque ont installé des commissaires politiques dans chaque université.
Et la machine à dénoncer tournait à plein régime.
Bien sûr, tout contact avec l'étranger était formellement interdit, même vers les pays "amis".
Pour un expert en économie socialiste internationale comme moi, c'était une catastrophe, mais il ne valait mieux pas protester avec trop de véhémence.

Pourtant, au bout de peu de temps, nous avons appris (parfois durement) à qui nous pouvions faire confiance.
Nous jouions avec le risque de tomber sur un espion politique ou un délateur, mais certains d'entre nous étaient décidés à passer à l'Ouest, pour continuer à travailler ou juste pour vivre sans être pourchassés.

Nous attendions beaucoup de quintescent, qui possédait déjà un réseau de relations très serré avant la venue des soviétiques.

Ceux qui s'intéressaient au fonctionnement du parti communiste tchèque à cette époque savaient que sans jamais être sur les photographies officielles, il exerçait une influence à tous les niveaux du pouvoir, en Tchécoslovaquie même, et aussi jusqu'au Kremlin.

D'ailleurs, le jour où je l'ai rencontré, il revenait d'un voyage à Moscou, d'une mission dont il ne pouvait pas se permettre de nous parler.

Nous lui exposâmes nos projets, qui étaient encore à l'état de rêve.
Et surtout, nous lui exprimâmes notre désir de partir et de passer à l'Ouest.
Nous savions qu'il avait aussi des contacts de l'autre côté du rideau de fer, et nous espérions qu'il pourrait nous en faire profiter pour faciliter notre passage.

Il refusa prudemment de nous faire une promesse formelle, mais nous fit comprendre que nous pouvions compter sur lui.
Il partit en nous encourageant, et en nous recommandant la patience et la prudence.

Et peu de temps après, nous reçûmes indirectement des consignes pour un départ clandestin.

Pendant les quinze jours qui précédaient le rendez-vous nocturne, je vécus dans une anxiété permanente, craignant à tout instant que mes regards fuyants et mon comportement inquiet ne fasse révéler mon statut de comploteur.

Je voyais des uniformes partout (et il y en avait beaucoup), mais je me méfiais aussi de tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un fonctionnaire.

Puis le soir du rendez-vous arriva, et nous nous sommes rassemblâmes dans le hangar qui nous avait été indiqué.
Nous attendîmes longuement quintescent.
Heureusement pour lui, il ne vint jamais.
Au lieu de cela, ce sont des militaires qui encerclèrent le bâtiment.
Nous fûmes interrogés, puis envoyés dans une prison militaire.
Par chance, nous ne fûmes jamais expédiés en Sibérie, comme les gardiens s'étaient ingéniés à nous le laisser croire.

Pour ma part, j'y restai dix-sept ans.

Nous ne sûmes jamais qui nous avait dénoncés, et maintenant, ça n'a plus beaucoup d'importance.
Je n'ai jamais revu quintescent, mais je sais qu'à distance, il veillait sur nous, et je suis persuadé que c'est grâce à lui que nous avons évité un régime carcéral encore plus sévère.