La "Danse des Sept Voiles" rentrait piteusement sur sa seule chaudière à vapeur.

Le grand-mât brisé pendait lamentablement sur le pont.

Sur la passerelle, Ph&-no, le bras en écharpe, donnait quelques ordres pour préparer l'entrée au port.

Il n'avait pas été possible de s'en débarrasser après qu'il se soit brisé, et désormais, il gênait les manoeuvres.

Mais une partie d'une vergue avait été brûtalement enfoncée dans la coque sous la ligne de flottaison par une grosse lame, et elle avait préféré éviter d'aggraver a voie d'eau en ordonnant de jeter le mât à la mer.

Elle avait simplement donné l'ordre de l'amarrer pour éviter qu'il ne ballotte et ne fasse davantage de dommages dans l'équipage.

Finalement, les dégâts humains étaient moins graves qu'elle ne le craignait.

Quelques contusions, quelques fractures mineures.

On lui avait remis son bras en place - apparemment, il n'était pas cassé - et immobilisé dans une écharpe.

Désormais, le navire faisait route en se trainant sur son seul moteur.

En économisant le charbon, à toute petite vitesse, Ph&-no avait réussi à ramener le bateau en vue du port de la capitale.

Des hommes se relayaient dans la cale, car la voie d'eau n'avait pu être complètement colmatée.

Des messages arrivaient à un rythme inhabituel depuis l'héliographe du phare du Gressons.

L'héliographiste du bord, un gamin blond timide, le front bandé, griffonnait avec frénésie, noircissant les feuilles de messages.

Malgré la brise marine qui entrait par la vitre brisée, il transpirait dans sa cabine.

Ph&-no prélevait les messages sur la tablette aussitôt que le jeune homme les repoussait pour commencer le suivant.

Elle s'agaçait du peu de détails et d'informations contenu dans les messages envoyés par les terriens.

S'ils n'avaient rien de plus précis à dire, maugréait-elle, autant qu'ils s'abstiennent.

A la lecture des héliogrammes, on devinait surtout la grande émotion de ceux qui les émettaient, mais on n'en retirait guère de rensignements utiles.

Finalement, l'héliographe reçut une notification de la convocation de la Reine.

Un rappel, en fait, puisque l'objet même de la traversée était la mise à disposition de la marine royale des armes et de l'équipage de la "Danse des sept voiles".

Bref, du bruit, guère plus précis que les messages précédents.

Rien qui ne puisse attendre que le navire soit à quai, finalement.

Gérer les priorités.

Le vapeur avait ses propres soucis, qui semblaient plus urgents.

Apparemment, plusieurs vagues formidables avaient écrasé toutes les superstructures du bateau.

Comme l'avaient annoncé les météoscopes, le ciel était sans un seul nuage.

Une gentille brise de sud-ouest gonflait les voiles, et le bateau filait quinze noeuds avec son moteur.

Presque son record.

Une cargaison plutôt stable, des vivres de campagne, des armes soigneusement emballées et des pièces détachées pour dirigeable.

Et cette convocation urgente de la Reine, comme en avaient reçu la plupart des capitaines de la flotte ces dernières semaines.

Un voyage de routine, qui avait en un instant tourné à la catastrophe.

Les lames s'étaient abattues, sans aucun signe avant-coureur.

La cargaison était endommagée, mais les pièces précieuses étaient miraculeusement intactes.

Toujours ça de moins à justifier auprès de l'armateur.

Et aucun homme de perdu.

Malgré sa mauvaise humeur de surface, Ph&-no pouvait rester optimiste.

---

Dès que le navire eût touché le quai, Ph&-no sauta à terre.

Contrairement à ses habitudes, elle laissa le second et le bosco superviser le déchargement des passagers et de la cargaison.

Les dernières nouvelles reçues par héliographe étaient préoccupantes.

Un membre des éclaireurs royaux l'attendait avec un cheval.

On l'aida à monter en selle avec son bras en écharpe, et elle suivit le soldat en direction du palais.