Sonnet premier: La créature

En quelques pas à peine, je monte sur le pont.
De cette créature, j'aperçois le corps blême,
Et les bras ventouseux, hideux comme un blasphème,
Sa bouche monstrueuse, munie d'affreux crampons.

Je la salue bien bas, (j'aime la politesse),
Je la prie de vouloir bien lâcher mon navire,
Car sa poigne de fer empêche qu'il ne vire.
Voilà qu'elle prend courroux de ma délicatesse !

Elle revendique haut cet esquif qui est mien,
Qui me coûta fort cher dans un port londonien
Et prétend derechef en user à sa guise.

Vos gens et vous, dit-elle, êtes bien arrogants
Qui prétendez sur Terre et sur Mer avoir prise
La Mer est aux mollusques, non à d'humains brigands.

Sonnet second: La nature

Je me vois à la baille, détruit est mon navire
Barbotant en canard au milieu des espars
Cramponné aux bouées, bien moins fier qu'au départ:
C'est que boire quelques tasses me convient à ravir...

Et quand je touche Terre, enfin débarrassé
Des requins facétieux qui attendaient ma fin,
Je dois me rendre compte que j'ai encore l'air fin
Échoué sur un îlot où nul n'ira passer

Mon inventaire est maigre: quelques bandes dessinées
Un briquet sans essence, une peau parcheminée
Où un sot désœuvré a tracé quelques signes.

Fort opportunément, j'ai pu trouver aussi
Une règle en plastique pour bien tracer des lignes.
Pour mon journal de bord, ce sera plus précis...

Sonnet troisième: La lecture

Je regarde les marques tracées sur parchemin
On dirait une carte, indiquant une route !
J'y vois bien des repères il n'y a pas de doute
C'est sûr, c'est un trésor dont voici le chemin !

Avec un bout de bois, j'entreprends de creuser
Mes pauvres mains en tremblent, crispées sur cette planche
Je continue quand même, pas question que je flanche !
Je creuse jusqu'au matin, où je tombe, épuisé.

Il me semble à présent que j'ai bien retourné
La moitié de l'îlot, au moins, à vue de nez
Sans trouver du trésor le début d'un indice

Et alors, renonçant, déçu et harassé,
Las d'en avoir des crampes et que mes doigts raidissent,
Je jette le plan au loin pour m'en débarrasser.

Sonnet quatrième: La luxure

Voilà bientôt six mois que je suis sur cette île.
J'en ai vraiment assez, moi, de sucer des moules
Assaisonnées de sable en guise de semoule !
Je voudrais aller voir les filles à la ville !

Comment faire un bateau puisqu'ici rien ne pousse ?
J'ai coupé mon palmier pour me faire du chauffage.
Je voudrais voir quelqu'un, même un anthropophage
Plutôt que d'être seul à me tourner les pouces

Mais que vois-je là-bas, sont-ce des indigènes ?
Amicaux ou sauvages, pris d'hallucinogènes ?
Les cons, j'en ai assez, merde, j'ai déjà donné !

Ben non, tiens, c'est des filles ! Les nanas ! Par ici !
Les sirènes de l'amour ont enfin résonné !
Vous Jane et moi Tarzan, et moi King-Kong aussi.