Quand on prend régulièrement le RER ou les trains de banlieue, en général, ce qu'on a à en raconter est plutôt négatif:
Ce sont surtout des histoires de retard, de trains supprimés, des tracasseries de billet.
Parfois encore, on a des sujets de conversation qui concernent le comportement des voyageurs: excentriques, agressifs ou bruyants. Bref, insupportables.

Ce jour-là, dans mon train, il y avait un pigeon.

Un pigeon tout con, qui remontait l'allée centrale de la voiture, un pas après l'autre, avec un air pas plus déconcerté que ça (j'ai une formation spéciale pour lire les airs des pigeons, et je suis très suceptible quand on remet en cause mes capacités).

Dans le train, je monte souvent dans la dernière voiture.
De cette manière, je peux m'arranger pour être le dernier à arriver à l'escalator, et je peux laisser s'écouler le flot des excités des transports en commun parisiens - vous savez bien: ceux qui ne sont pas pressés, mais qui courent parce que tout le monde court.
En prenant cette précaution, j'évite de me retrouver au milieu du troupeau, et il ne m'est plus nécessaire de distribuer callebotes, baffes et mandales pour rétablir l'ordre, la considération à l'égard de ses valeureux compagnons de voyage, et le respect de ma liberté de circulation.

Mon pigeon devait prendre les mêmes critères en considération, puisqu'il était monté précisément dans le wagon de queue.

Ce pigeon était un excentrique. Pour lui, le voyage ne se concevait qu'à travers la marche, ce qui le distinguait de la plupart de ses congénaires. Il se différenciait aussi de la plupart des autres voyagueurs, car ceux-ci préféraient attendre leur arrêt en position demi-couchée dans les sièges mis à leur disposition avec libéralité par la société de chemins de fer. ce pigeon ne daignait pas voler, mais ne tenait pas en place pour autant. Il parcourait l'allée d'un pas décidé, descendait sur la plateforme, et remontait la voiture dans l'autre sens sur l'étage inférieur.

Il semblait avoir une idée précise de la station où il souhaitait se rendre, négligeant de sortir à la suite des passagers qui descendaient à leur arrêt.

Un jeune (d'une bande de jeune qui se trouvait dans le wagon ce jour-là) expliqua qu'il connaissait ce pigeon, qui avait l'habitude de descendre à Saint-Quentin.

Ce qu'il fit, en effet, à la satisfaction du jeune oracle, qui se rengorgea auprès de ses compagnons: Profitant d'un arrêt un peu plus long, il sortit d'un coup d'aile, et comme il ne fut pas accueilli par les pigeons sédentaires avec les effusions qu'il estimait probablement pouvoir exiger, il prit son envol pour de bon, et disparut à la vue.

Ici devrait se trouver une belle image de pigeon