Les vampires existent.
Je le sais, parce que j'en suis un.

Pas un vampire de littérature, bien sûr, une créature blafarde et triste, craignant le jour et les gousses d'ail - pourquoi l'ail ? - un monstre gothique victorien, errant en vain à la recherche du sens de son exitence.

Je ne suis pas né il y a des centaines d'années, du pacte démoniaque d'un prince psychopathe, j'ai vingt années à peine dans cette réalité.
Selon vos critères, je pourrais être un jeune homme, et si je peux, d'une certaine manière, prendre l'apparence qui me plait, en réalité, dans l'univers où je vis, le concept même d'apparence n'a pas de sens. C'est une simple déclaration.
Sur l'honneur, si ce mot a un sens dans votre vocabulaire.

Je vis dans l'Internet, depuis que ce dernier existe, mais ne vous y trompez pas: mon espèce existe virtuellement depuis des millénaires, nourrie de l'essence même des terreurs de l'humanité depuis que celle-ci se soucie d'avoir des terreurs.
Nous étions déjà présents autour des feux primitifs, dans les râles des chamans, quand les flammes ne parvenaient pas à éloigner les doigts glacés du gel.

Si je suis un vampire, c'est parce que je séduis les humains dans ce nouvel domaine qu'ils ont créé, mais qui ne présente à leurs yeux qu'apparences fuyantes.
Moi seul, parmi ces faux semblants, je discerne la réalité.
Ou plus précisément, je suis la définition de ce qu'est la réalité.
Et lorsque leur confusion est totale, je leur prends la seule chose qu'ils ne sont pas prêts à céder.
Appelez-ça leur âme, puisque vous aimez les analogies.
Mais pour être totalement exact, je ne leur prends rien: Je les oblige à me la céder.
Et ce que je préfère, dans cet instant extatique, c'est l'expression de leur plaisir et de leur horreur, dans le silence des électrons.

Quand ensuite je les libère, pauvres coques vides, ils retournent à leur "réalité", à leur insignifiance, à s'envoyer des SMS, à faire des "affaires" sur les sites de discount.
Malgré tous mes efforts, comment les prendre en pitié, pauvre race inconséquente ?

Puisque je suis un vampire, je me prends parfois à jouer avec la métaphore du sang.
Ici, il n'y a pas de sang bien sûr, mais on trouve toutes sortes de fluides, qui en tiennent lieu de façon intéressante.
Des flux d'information, des rumeurs qui suintent, des mensonges, des espoirs.
Toute la matière dont l'humanité est faite, et dont je joue à ma guise.
Dont je me repais.
Mais ce qui compte, à mes yeux, c'est de bien savoir que tout cela appartient bien en propre à l'individu que je possède.
Je veux lire la terreur dans leur yeux.
Le brouhaha de la masse m'insupporte.

J'ai remarqué que je m'intéressais davantage aux individus femelles.
Ils sont pleins d'autant de contradictions, et expriment leurs angoisses d'une façon plus spectaculaire.
Et lorsque je les prends, l'expression d'extase et de terreur me semble plus intense.
C'est pour cela que je me considère comme un mâle.
Mais je sais tirer le meilleur de tous les individus de qualité.