Pendant que le silène s'abandonnait contre son gré aux gazouillis de son appareil digestif, une hyène tachetée venue de la frontière, dernière de son genre (Crocuta crocuta), s'approcha, par l'odeur alléchée et lui tint à peu près ce langage:

"Hé, bonjour, monsieur au corps beau.", ce qui était évidemment une vile flatterie. "Un digne personnage qui exhale l'odeur du fromage et du cadavre sans en souffrir le caractère salissant et funèbre, voilà assurément une bien urbaine compagnie! Puis-je me permettre de demander l'identité de cet aimable autochtone, dont je ne puis, par le fait, consulter l'épitaphe ?

- Silène. Je m'appelle Silène. Je suis un satyre comme les autres, répondit le silène, toujours plié en deux, dans effort vague aussi bien que vain pour contenir les hurlements du fruit de ses entrailles.

- Je suis une hyène, quant à moi, répondit l'animal à dure dentition, mais nulle autorité ne m'a encore attribué de nom. A cet égard, permettez-moi de vous soumettre une requête: Si votre seigneurie avait l'aimable bienveillance de m'en choisir un, j'en ferais mon prince, et je lui vouerais une profonde et définitive reconnaissance.

- Eh bien, répliqua le silène hors d'haleine, je n'ai nulle haine contre la gent Hyène, et je n'éprouve nulle réticence à assurer le rôle de parrain que vous me proposez. Et puisque vous m'en donnez l'autorisation, je vous baptise "le renard". En retour je te saurais le plus grand gré de bien vouloir me dessiner un mouton, s'il vous plaît.

- Heu, on se vouvoie, toi et moi ? répondit l'hyène, en se raclant la gorge, un peu déconcertée. Heu, pour le crobard, c'est que je n'ai ni stylo, ni pinceau sur moi.

Le silène la considéra un instant. Elle était effectivement drapée dans une seyante nudité sans poche, à défaut d'être glabre. Parfaitement à poil, en fait.

- Qu'à cela ne tienne, repartit le silène, ce n'est qu'un problème de réglage, je tiens une solution: Ma mère m'a dit d'aller me faire couper les cheveux, ô hyène. Je considérais jusqu'à présent la vacuité ce geste comme une forme de débauchage. Si j'ai les cheveux longs, ce n'est pas parce que je trouve ça beau, mais parce que ça me plait. Et j'invitais ma chère génitrice à aller au coiffeur si le coeur lui en disait. Mais si nous y trouvons un intérêt utilitaire, il en va tout autrement. Nous en profiterons pour faire un pinceau de poils de silène. Allons-y sans retard.

- Allons-y donc, mon prince"

Et ainsi, l'un pétant, l'autre ricanant, se mirent en quête d'un barbier.

"A propos, dit le renard au petit prince, vous ai-je déjà parlé de mes roses ?"