La nuit tombait sur le petit prince et le renard, et ils se mirent en devoir de chercher un hôtel afin de s'y faire dorloter et d'y prendre un peu de repos.

Mais, soit qu'il y avait en ville une affluence exceptionnelle, soit que les hôteliers se souciaient peu d'acquérir la clientèle des deux personnages à l'aspect déroutant, ils ne purent malgré tous leurs efforts trouver un hébergement à la hauteur de leurs attentes.

Ils résolurent de dormir sous la tente. Par bonheur, le temps se prêtait au camping, et ils avisèrent la forge d'un chantier de la direction départementale de l'équipement, abandonné par ses ouvriers à cette heure tardive, à l'exception d'un cantonnier, écroulé là sur le côté, qui semblait une promotion vivante des slogans prônant la santé et la sobriété.

Comme ils approchaient, le cantonnier émergea superficiellement de son coma, et sans marquer de surprise particulière de les voir surgir inopinément, se mit à rugir un chant patriote.

Puis, il leur sourit, de toute la chaleur de son herpès labial, et les invita à le rejoindre auprès de sa bouteille, qui semblait être son bien le plus précieux.

Le petit prince et le renard se montrèrent peu soucieux de partager un goulot qu'il devait, à coup sûr, mériter bien plus qu'eux.

Mais la boisson a un pouvoir diurétique, comme chacun sait, et le digne cantonnier était affligé d'un besoin d'uriner pressant, à la limite de l'incontinence.

Après s'être excusé auprès de ses nouveaux compagnons, il exposa sans façon et sans fausse pudeur ses zones érogènes et se mit en devoir de creuser des motifs dans la terre meuble du chantier avec son jet puissant.

Par endroit, le flot puissant creusait une cupule, puis, à force d'art et de patience, la cupule devenait une vaste cavité, large comme un creuset.

La vue de tant de talent réjouit le silène et la hyène, qui voyaient dans le bonhomme comme un répons à leur silénitude et à leur hyénitude respectifs.

Il proposèrent aussitôt au cantonnier de se joindre à leur quête.

Il leur fallait décidément lui trouver un sobriquet.

Ils manquaient un peu d'idées, mais par bonheur le cantonnier ne se séparait jamais d'un énorme incunable et de son antique ordinateur sous Windows Vista.

"Va sur Gogol, suggéra le silène. Ils ont une fonction de pronostic de poésie maritime très performante."

Mais même ainsi, il ne trouvèrent aucun surnom qui leur convenait.

De dépit, le cantonnier donna un magistral coup de pied à un réverbère parfaitement innocent et pas du tout impliqué, ce qui fit sourire le petit prince et le renard.

Et ainsi, la petite troupe de compagnons se trouva bientôt agrandie d'un nouvel "allumeur de réverbères".

Et il s'en furent dans la nuit, l'un pétant, l'autre refoulant du goulot, le troisième pissant à tous les vents.