Moi, j'ai fait la connaissance de quintescent en Galilée, sous le règne d'Hérode Antipas.

A cette époque-là, nous étions une bande de jeunes.

Pas si jeunes que ça, en vérité: nous allions tous plus ou moins sur nos trente ans, et notre comportement d'adolescents attardés nous attirait la réprobation de toute la bourgeoisie bien-pensante de Nazareth.

On s'en fichait pas mal, nous avions une éducation "à la grecque" de jeunes juifs raffinés de notre époque, nous méprisions pas mal des interdits contraignants de notre religion, nous buvions souvent du vin jusqu'à l'ennivrement, et nous mangions même parfois du porc ou des crustacés.

quintescent était de loin le plus acharné d'entre nous.

Artisan de son métier, il était aussi rabbi, davantage à cause de l'insistance de ses parents très pieux que par conviction.

Il raillait volontiers sa propre dignité religieuse particulière en parlant de lui même à la troisième personne, et en se désignant par "le fils de l'homme".

L'homme en question, le vieux Yosef, un charpentier honorablement connu à Nazareth, rouspétait souvent pour la forme à toutes ses incartades, mais faisait toujours preuve d'une coupable indulgence à l'égard de son fils bien aimé.

Nous vivions, il faut le dire, une époque bizarre, où la société se distendait entre jeunes gens libéraux, comme nous, qui prenions nos distances avec la religion, et les bandes et sectes intégristes, ésséniens ou pharisiens, qui couraient le pays en prêchant la fin du monde.

Nous nous moquions en toute occasion de toute cette bigotterie, et bien sûr, c'était toujours quintescent qui se distingait dans ce domaine.

Il transformait invariablement les séances d'étude de la Torah en rigolade, avec ses interprétations loufoques de la volonté divine.

Comme le temps passé, nous nous sentions de plus en plus étouffés dans les murs étriqués de Nazareth, et nous finissions par rêver tout haut de courir le monde en quête d'aventures, pour brûler ce qui nous restait de jeunesse par les deux bouts.

Et un jour, après avoir été jetés dehors d'une enième fête de village, nous partîmes vraiment.

Toute une bande, à l'aventure.

A force de croiser sur notre chemin des bandes de prêcheurs à demi fous, l'idée vint un jour à quintescent, en plaisantant à demi, que nous pourrions créer notre propre secte, ce qui déclencha l'hilarité générale.

C'était tout près de la ville nouvelle de Tibériade, construite en l'honneur de l'empereur de Rome, et dont la réputation moderne nous attirait comme un aimant (réputation très surfaite, nous le découvrîmes rapidement, mais c'est une autre histoire)

quintescent nous fit rire toute la soirée de son imitation de prophète, en reprenant des bribes de phrases captées par-ci par-là, récitant juste à propos, comme il savait si bien le faire, des fragments de la Torah.

Il avait vraiment du talent pour ça, et nous complétions la scène en jouant les disciples dévoués et le militants enflammés.

Les habitants du coin nous observaient avec intérêt et un air réjoui, et forts de ce public, nous étions encouragés à poursuivre notre interprétation.

Au petit matin, nous fûmes tout de même assez stupéfait de voir qu'un certain nombre de ces spectateurs étaient restés toute la nuit auprès de notre campement, attendant, semblait-il que quintescent recommence son prêche.

Nous nous regardâmes avec inquiétude, un peu dépassés par ce développement inattendu de notre délire de la veille.

D'autant plus que certains, s'enhardissant, finirent par nous demander des nouvelles du "maître", et nous apportant à sassiété eau et nourriture - mais pas de vin, les imbéciles !

Finalement, il fut décidé de continuer le jeu, pour voir où ça nous mènerait.

La situation nous paraissait plutôt agréable, nous étions nourris et traités avec davantage de bienveillance que nous n'en avions l'habitude, il nous suffisait pour cela d'imaginer une origine attrayante et spectaculaire à notre bande et particulièrement à quintescent.

Il s'inventa des ancêtres parmi les anciens de la tribu de Yehoudah, et un prénom de scène de Yeochouah, et même une ascendance jusqu'au roi David (mais à cette époque, tout le monde prétendait descendre du roi David.

Et bien sûr, il se désignait toujours comme "le fils de l'homme", ce qui déroutait toujours ses auditeurs, et contribuait à les subjuguer.

Et finalement, au bout de quelque temps, quand nous décidâmes de changer d'endroit, ils furent quelques-uns à nous suivre.

(à suivre...)