Après quelques mois de cette vie errante, amusante, mais pas très productive, certains dans notre cortège finirent par se rappeler qu'après tout, ils étaient juifs, et exprimèrent le souhait de se rendre à Jérusalem pour faire un sacrifice au temple.

Peu d'entre nous avaient déjà fait ce pélerinage (peu d'entre nous s'étaient déjà rendus à Jérusalem) et l'idée ne rencontra pas beaucoup de réticence.

Je soupçonne que pour quintescent, ce déplacement représentait une opportunité intéressante de tester sa nouvelle popularité auprès d'un nouveau public.

En tous cas, nous nous mîmes en route avec un bel enthousiasme.

Notre troupe hétéroclite (qui comprenait désormais un certain nombre d'infirmes, et des femmes accompagnées d'enfants) n'avançait pas vite, et dans beaucoup d'endroits où nous passions, les habitants séduits par le charisme de quintescent cherchaient à nous retenir quelques jours.

Quelques jours seulement, car notre troupe grandissante consommait pas mal de nourriture sur son passage.

Et ainsi, c'est seulement au début des festivités de Soukot que nous arrivâmes à Jérusalem.

Selon l'usage - et la mitsva - les pélerins rassemblaient des rameaux des quatre espèces dont ils allaient se servir pour parer les cabanes rituelles.

En entrant dans la ville, avec à notre tête quintescent sur son âne, nous nous retrouvâmes mêlés à un cortège de ces pélerins équipés de ces rameaux.

Nous nous amusâmes, par dérision, à remercier les pélerins de cette haie d'honneur improvisée, que vraiment nous ne méritions pas.

Certains nous regardaient comme des fous, d'autres nous jetaient un regard indigné et détournaient la tête.

Malgré tout notre esprit irrévérentieux, nous fûmes tout de même impressionnés par le temple.

Des flots continus de pélerins, venus de tout Israël se rassemblaient et convergeaient vers le fabuleux temple d'Hérode, le temple reconstruit par le grand-père de notre actuel Hérode Antipas.

Il faut dire qu'Hérode le grand, c'était autre chose, comme roi. Sûrement le meilleur roi qu'Israël avait connu depuis le roi Salomon lui-même, et même s'il avait été installé sur son trône par les romains, il était tout de même celui qui avait rendu sa fierté au peuple juif. Et surtout rebâti le temple.

Et même si certains lui reprochaient - calomnieusement, selon moi - de menus forfait, comme l'ordre de massacrer des nouveaux-nés en Gallilée, il restait pour moi le plus grand roi des temps modernes.

Et grâce à la reconstruction du temple, et peut-être en réaction contre l'occupation romaine ou la libéralisation grecque des moeurs, tout Israël s'était pris d'une ferveur religieuse sans précédent.

Quand venait la période des sacrifices, il y avait des dizaines de milliers de pélerins sur le mont du temple, et encore plus d'animaux.

Les rigoles aménagées dans le long des murs du temple se remplissaient du flot continu du sang des bêtes abattues, dont l'odeur âcre n'était pas couverte par les monceaux de résines aromatiques brûlées chaque jour.

Et il y avait des mouches, par millions.

Beaucoup de pélerins venaient pour le sacrifice avec leurs propres bêtes, mais certains, soit qu'ils étaient très fortunés, soit qu'ils avaient perdu leur bêtes en route, soit qu'ils étaient, comme nous, plutôt imprévoyants, devaient acheter leur bête sur place.

En réalité, tout s'achetait à prix d'or à Jérusalem, les bêtes pour le sacrifice, mais aussi tous les accessoires rituels, et même l'eau pour boire, les institutions civiles et religieuses prélevant une généreuse commission sur toutes les transactions.

Compte tenu du nombre de notre troupe, il était impensable que nos pauvres ressources suffisent à nous offrir ces accessoires indispensables.

quintescent s'impliquait beaucoup dans les négociations, mais même tout son talent n'y suffisait pas, et beaucoup ne comprenaient pas l'araméen à Jérusalem.

Finalement, nous décidâmes un jour de susciter une bagarre générale et de nous emparer de ce dont nous avions besoin en profitant de la confusion.

quintescent renversa les tables des courtiers et des percepteurs du temple en vociférant des imprécations au nom du fils de l'homme, et la partie basse du temple, dédiée aux profanes, se transforma bientôt en un tumulte indescriptible, dont les quelques gardes romains de faction évitèrent soigneusement de se mêler.

(à suivre...)