Il y a d'abord ce type, sur la banquette d'à côté, qui réussit cet exploit, qui me laisse admiratif, en un seul mouvement, de faire volte face, de poser sa serviette le long se son siège, de se pencher en avant vers son vis-à-vis, de tousser vigoureusement à la face de celui-ci et de s'asseoir, sans lâcher le bouquin qu'il tient dans l'autre main.

Forcément, après toute cette activité, il est épuisé, et il n'a pas la force de s'excuser, mais comment lui en tenir rigueur ?

Et l'instant d'après, cet autre type, en uniforme d'employé de bureau, qui vient se poster devant moi en me mettant ses fesses sous le nez, scrute longuement le wagon à la recherche d'un siège libre, hésite, se rend à l'évidence: il n'y a pas de meilleur endroit, s'installe juste en face de moi, me fixe un instant, ouvre soudain sur un bâillement cyclopéen une bouche si énorme que je peux compter ses plombages, contempler sa glotte, et examiner l'état du fond de son caleçon.

Et, après un "haaaammm" triomphant, il se remet aussitôt à sa passionnante contemplation de moi-même.

Comme je ne tiens pas à profiter de cette occasion inopinée pour échanger mon e-mail ou le contenu de ma bouche avec lui, je détourne promptement le regard et je me m'intéresse au paysage qui défile - les murs couverts de graffiti me passionnent et me semblent chaque jour différents, selon la lumière qui les éclaire, et mon âme de poète n'y est jamais indifférente.

Comme ma station arrive, je me dis que décidément, la rencontre de gens charmants permet de bien commencer sa journée de travail, et je quitte à regret la voiture pour attendre ma correspondance.

Post Scriptum: Ce soir, au retour, il y a cet autre type, qui se déchausse carrément, et sétale de tout son large, un pied sur chaque siège, afin que chaque passant enthousiaste puisse admirer ses superbes chaussettes bleues-ciel à motifs jaunes. Je n'ai pas osé lui demander de me dédicacer mon 20minutes.