Moi, j'ai rencontré quintescent à la plage, un été.

Mon père venait de me montrer comment on pouvait faire des pâtés de sable, avec du sable mouillé et mon seau en plastique.

Au début, je n'étais pas très habile.
Je voyais que les châteaux tenaient mieux quand on tassait correctement le sable, mais j'avais beau tasser, ils finissaient toujours par s'écrouler.

Je savais que quintescent devait venir ce jour-là.
Je ne l'avais jamais rencontré, mais on m'avait beaucoup parlé de lui.
C'était un cousin éloigné, du côté de ma mère.
C'était un grand, déjà, il avait un an de plus que moi.
A cet âge-là, un an, ça compte.

Il est arrivé, à la fin de matinée.
Le soleil commençait à être très chaud.
Nous sommes fait la bise, et ses parents ont installé le parasol près du notre.
Va-donc jouer avec ta cousine, lui a suggéré son père.

Il s'est approché.
Ah, tu fais des châteaux de sable, constata-t-il, d'un air supérieur et désabusé.
Il n'avait pas de seau.
Je lui ai bien sûr tourné le dos.
Pas question qu'il touche à mon seau et ma pelle.
Il n'avait qu'à s'en trouver d'autres.

Il resta debout, vaguement désemparé, et pour garder contenance, il prit ses parents et l'univers à témoin:
"Elle ne sait même pas les faire ! Maman, regarde, elle prend du sable sec pour faire ses châteaux !
- Non ! répliquai-je aussitôt, vexée et indignée. C'est même pas vrai ! Je prends du sable mouillé !
- Peuh ! Y a pas assez d'eau ! Regarde, c'est à moitié sec, et ça se casse en morceaux".
Il fallait reconnaître qu'en effet, le sable sec était mêlé au sable humide, et que cela compromettait la solidité de mes précieux édifices.

Mais il n'étais pas question que j'obtempère immédiatement à ses recommandations.
Je ferais les châteaux à ma façon, et voilà tout.

Mais ça ne tenait décidément pas.
Finalement, à force d'insistance, et un peu lasse de sentir son regard ironique sur mes essais infructueux, je finis par me laisser convaincre de lui laisser le seau.
Il alla le remplir tout au bord de la mer, cette fois avec du sable vraiment humide.
Incontestablement, ses pâtés se démoulaient plus facilement que les miens, et tenaient beaucoup mieux.
Il entreprit alors de construire une véritable forteresse, en reliant les tours de sable avec des murailles de sable humide.

Quatre tours suffirent à construire un fort acceptable, en tous cas le plus réussi que j'aie jamais vu (bien que je ne sache pas vraiment à quoi ressemblait un château dans la réalité).

Avec des débris de bois et des coquillages, qui figuraient des chevaliers, il m'enseigna les rudiments de l'art militaire.

Je compris ainsi qu'il était vital pour certaines personnes de monter en haut des murs des châteaux pour arriver à l'intérieur, cependant que d'autres considéraient de la plus haute nécessité d'empêcher les premiers d'arriver à leur fins, par le moyen simple et non définitif de l'extermination.

La logique de cette distraction était finalement assez proche de celle de certains jeux que je pratiquais par ailleurs (l'extermination mise à part), et je ne me posais pas davantage de questions sur le bien fondé de pareilles disputes.

Nous jouâmes ainsi pendant près d'une heure, ce qui était une durée exceptionnelle compte tenu de la patience dont je faisais preuve pour n'importe quelle activité à cette époque. (sur ce point, je n'ai guère changé).

Puis la mère de quintescent l'appela: il était temps de repartir déjeuner.
Quant à nous, nous restions: nous avions prévu un panier pour le pique-nique.
Je suis restée à jouer seule quelques instants, mais le jeu n'avait plus la même saveur.
Je me lassai très vite.

Et puis la vague est arrivée, jusqu'au ras des parasols.

Il ne resta plus du château qu'un monticule informe et quelques coquillages.

Je restai inconsolable pendant une demi-heure au moins.