Au temps de Nicolas de Sarcotie, on avait souvent recours aux femmes en diplomatie, parce qu'elles pouvaient déployer des compétences dont les hommes ne disposaient pas.

Bien que la plupart celles-ci aient la réputation paradoxale de manquer de patience, d'être frivoles, superficielles, vénales, égocentriques, sottes, gourdes et maladroites, certaines, de plus haute extraction et de meilleure éducation, faisaient montre de qualités exactement inverses.

La conjointe de Nicolas de Sarcotie, par exemple, la subtile Cécellela de Sarcotie faisait justement partie de ces femmes d'exception à qui on pouvait vraiment tout demander, et qui accomplissait les tâches les plus totalement impossibles avec tact, discrétion et diplomatie, en conservant en toute circonstance cette élégance si particulière des Europaines de l'époque qui portaient du Dior ou du Chanel ou du déodorant.

Naturellement, pour garder la discrétion indispensable à toute négociation et préserver l'anonymat de Nicolas de Sarcotie, aucune mission formelle n'était confiée à Cécellela de Sarcotie, qui ne déplaçait officiellement les avions ministériels que pour la visite humanitaire de pauvres dans des trous-du-cul-du-monde.

Personne ne se doutait de rien.

Si elle ou un de ses hommes était venu à être pris, le gouvernement aurait nié être au courant de ses agissements, cette bande s'autodétruira dans vingt secondes.

Nicolas de Sarcotie, qui lui aussi raffolait de ses prestations lorqu'il avait les moyens de se les offrir, n'hésitait pourtant jamais à se séparer d'elle temporairement quand c'était nécessaire pour satisfaire le besoin urgent d'un hôte de marque ou d'un interlocuteur impliqué dans des négociations difficiles.

Cécellela de Sarcotie pouvait en outre accomplir des merveilles lorsqu'on lui confiait une carte de paiement avec son code (cette activité étant métaphoriquement désignée par le terme de "frais de bouche", expression faisant vraisemblablement allusion à son dentifrice qui était choisi avec le plus grand soin).

Ainsi, on raconte que Monhomard de Queldéfi, un célèbre fabricant d'huile de pétrole avec qui Europe se disputait avec âpreté des employées très réputées de Bulgari (un célèbre bijoutier de l'époque), avait renoncé à ses prétentions pour une bouchée de pain (complet, certes), après l'avoir croisée une seule fois chez lui, dans son jardin, totalement par hasard.

Il s'était contenté en contrepartie, à ce qu'on dit, de la promesse que Nicolas de Sarcotie lui rendrait plus tard une nouvelle visite strictement protocolaire, accompagné de sa négociatrice favorite.

C'est dire si sa conversation cultivée et intéressante était appréciée.

On n'a en revanche pas de certitude quant au rôle joué dans ces négociations par Claude des Géants, un secrétaire que Nicolas de Sarcotie avait commis à accompagnement de cette dame lorsqu'il avait des absences, et qui avait drôlement intérêt à ne la lâcher sous aucun prétexte.

Compte tenu des habitudes d'archivage de l'époque, les historiens présument qu'il prenait des photos et des vidéos des négociations, pour permettre au prince-démocrate de se les étudier à loisir, dans l'intimité de son bureau.

Grâce à cet appui tendre et fidèle, qu'il récompensait en virant avec libéralité des directeurs de journaux insolents, Nicolas de Sarcotie retirait un prestige immense et justifié des triomphes obtenus par la sueur de sa compagne et l'argent des contribuables Europains.