Chapitre 18

- C'est encore loin le sommet ?
- Tais-toi, pédale.
Jaurès de l'Avenue, in
L'Arrivée du Tour.


Au temps de Nicolas de Sarcotie, le mair de Pari, l'intrépide metteur en Seine Bertrans de la Noyée, s'était convaincu que tous les administrés devaient rouler à vélo.

Bertrans de la Noyée était le promoteur visionnaire de Pariplage, un astucieux système de bassines, de lampes à ultraviolets et de bains de pieds qui permettait de conserver le soleil à Pari au mois d'Août, quelle que fût la position de l'anticyclone des Açores, pour peu qu'on conservât ses lunettes spéciales à vision positive.

Le vélo, quant à lui, était une invention plus ancienne, un ingénieux véhicule à cuisses musculeuses, munies de deux roues, disposées l'une derrière l'autre.

Ainsi décrit, on comprend que le vélo était par nature instable.

Mais le génie des ingénieurs Europains avait été d'obtenir qu'il tienne en l'air par effet gyroscopique, en emportant un passager, de surcroît.

Des expériences sont actuellement tentées par des universitaires pour reconstruire et mettre en oeuvre des exemplaires de vélo d'après des plans d'époque, pour en comprendre le fonctionnement et évaluer leurs performances.

En attendant les résultats nouveaux espérés de ces expériences, on se base sur des récits de l'époque, qui nous donnent à penser que le vélo permettait de réaliser des vols planés de quelques dizaines de mètres, sans aucune aile ou hélice, particulièrement au niveau des carrefours à circulation dense.

Il faut s'imaginer le Pari de l'époque, beaucoup plus dégagé et aéré que ce que nous connaissons, avec ses habitants décollant avec grâce à chaque carrefour comme une volée de colombes.

De nos jours, on ne parvient à obtenir cet effet qu'au moyen de pastilles anti-gravité, malcommodes et inélégantes, ce qui devrait nous rendre modestes quand nous portons des jugements condescendants sur la technologie de cette époque.

Malgré tous ses avantages, le vélo avait quelques menus inconvénients, qui n'avaient pas manqué de lui attirer les foudres de quelques grincheux aux jambes courtes, mais au bras long.

Pas de Nicolas de Sarcotie lui-même, en tous cas, qui, outre le jogging (conseil des ministres cursif) dans le bois de Boulogne, était connu pour ses longues ballades à vélo dans le bois de Boulogne, avec des garçons chaleureux transpirants conduits par le journaliste serviable Michel de Druquère.

En fait, rien de ce qui était dans le bois de Boulogne, aucun de ses habitants ou de ses habitués n'était étranger à Nicolas de Sarcotie.

Le bois de Boulogne était sa passion.

Et il aimait beaucoup le vélo.

Ceux qui en revanche détestaient cette merveilleuse machine lui reprochaient mesquinement de ne pas protéger de la pluie (les villes n'avaient pas de bouclier de régulation météorologique), d'être malcommode à garer, et surtout d'être facile à voler - les sots, ils ne se rendaient pas compte que c'était son principal avantage, qui leur offrait la possibilité de partager les sensations des oiseaux.

Bertrans de la Noyée avait décidé d'imposer le bon sens à toute la cité en proposant des vélos à chaque coin de rue à tous les passants qui avaient besoin de voler pour se déplacer, ainsi qu'à ceux qui n'en avaient absolument pas besoin.

Pour parvenir à cette fin, il avait passé un accord avec Jean-Claude de Caux, un célèbre fabricant de bribus, un autre ingénieux dispositif qui permettait de survivre bien coiffé dans un monde plein de bus.

Jean-Claude de Caux et Bertrans de la Noyée estimaient qu'il était possible d'obtenir de même résultat, en remplaçant les bus par des vélos, pour faire un monde plein de vélos.

Certains remarquaient qu'il existait déjà un monde plein de vélos, dans la république du China, mais que ses habitants ayant pris goût aux véhicules à huile de pétrole et aux bus préféraient en définitive un monde plein de bus.

Bertrans de la Noyée répliquait avec à propos que lorsque le China s'éveillerait, Europe s'endormirait, à cause du décalage horaire, alors, qu'est-ce que vous répondez à ça ?

Il se faisait fort de favoriser ce sommeil, en mettant en place des rituels d'endormissement.

Ainsi, pendant tout un été, Pari se couvrit de trous verts et blancs, alors que des ouvriers construisaient les brivélos qui allaient bientôt faire la réputation de la ville.