Chapitre 19

Balles neuves !
Jaurès de l'Avenue, in 
 La Guerre et l'Après.


Au temps de Nicolas de Sarcotie, au début de l'été, lorsque le temps - qui n'avait pas encore subi le réchauffement climatique - se faisait plus doux les Europains se rendaient à Rolangarosse.

Rolangarosse était un lieu de rassemblement, à proximité de Pari, qui était utilisé une fois par an, précisément pour la cérémonie de l'ennui.

Cette cérémonie n'était pas à proprement parler une cérémonie religieuse, bien qu'elle fût placée sous le haut patronnage de la déesse solaire Thémis (une curieuse survivance d'une antiquité beaucoup plus ancienne).

Il s'agissait plutôt d'un rituel social, au cours duquel les Pipôles pouvaient témoigner et renforcer leur appartenance à l'élite.

On prenait prétexte du fameux rituel antique de l'ennui, autrefois pratiqué par des prêtres de Thémis, qu'on abandonnait désormais à deux esclaves choisis pour leur neurone joliment coloré.

Cet hommage à Thémis consistait à faire s'affronter les deux esclaves qui n'y comprenaient pas grand chose en les obligeant à se renvoyer une balle jaune (symbole du Soleil) par l'intermédiaire de raquettes (sortes de sur-chaussures destinées à marcher dans la neige, symbolisant les forces opposées au Soleil).

Au temps où le rituel était pratiqué par des prêtres, ceux-ci récitaient des chants et des prières.

Lorqu'on remplaça les prêtres par des esclaves quasi-intelligents, on se contenta de grognements gutturaux inarticulés, qui faisaient très bien l'affaire.

On déclairait vainqueur celui des deux qui parvenait à faire mourir son adversaire d'ennui.

Le sol de l'arène était fait de terre rouge, afin que les spectateurs ne soient pas choqués par la vue du sang répandu.

La plupart du temps, la mort était, heureusement pour les malheureux, assez symbolique, d'une part parce que le prétexte religieux était finalement assez lointain, et d'autre part parce qu'on se lassait d'attendre.

On considérait le rituel accompli quand un des deux reconnaissait sa défaite.

Le rituel de l'ennui durait en général plusieurs heures, ce qui permettait aux Pipôles de s'exposer, de se faire reconnaitre par leurs pairs et d'affirmer leur rang dans la société.

On considérait que le prestige était d'autant plus grand pour les participants qu'ils n'avaient pas financé eux-mêmes leur participation.

Il était beaucoup plus distingué de se faire inviter, ou de laisser croire qu'on l'avait été.

Certains contractaient de lourdes dettes pour entretenir cette illusion.

La bienséance voulait qu'on adopte une attitude d'ennui étudiée, et de montrer hostensiblement qu'on ne s'intéressait bsolument pas aux malheureux  qui transpiraient à même la terre.

Pour commenter la présence des personnes de qualité, et surtout renforcer le sentiment d'ennui mortel, on faisait aussi venir des journalistes à dents blanches, virtuoses dans l'art de feindre l'enthousiasme, comme le pittoresque Nelson de MentFort.

A l'instar du Festival des Connes, les rencontres de Rolangarosse étaient un élément d'un des innombrables rites sociaux qui rythmaient la vie de la société, et auxquels les Europains semblaient très attachés.

Parfois, il pleuvait.

Alors, on recapotait, et on allait se faire voir ailleurs.