Chapitre 13

Dieu reconnaitra les saints.
Jaurès de l'Avenue, in
Sancta Simplicitas


Selon la croyance des Europains du temps de Nicolas de Sarcotie, il était absolument indispensable de s'assurer la bienveillance de Dieu, ainsi que de toutes les divinités subalternes (sous-dieu du HTML, dieu-aspirant de la hotline, etc.) pour toutes les cérémonies qu'ils trouvaient importantes de leur insignifiante et courageuse existence.

L'intermédiaire de ce panthéon était naturellement le divin Nicolas de Sarcotie lui-même, qui présidait aux grandes célébrations de la nation, telle que la finale de la coupe (hommage au dieu équestre des bourrins) ou l'arrivée du tour (grande compétition technologique annuelle entre les laboratoires pharmaceutiques).

Cependant, en dépit ses innombrables talents, Nicolas de Sarcotie ne pouvait se rendre en personne à toutes les festivités mineures, telles que les fêtes à la noix du Périgord, ou les deuils nationaux très chiants où tout le monde devait s'habiller en noir, et ou on s'ennuyait à mourir en écoutant les oraisons funèbres prononcées par tous les notables qui voulaient mettre en valeur la qualité de leur expression orale.

Pour honorer tout de même les divinités, les europains avaient alors recours à des effigies du prince-démocrate.

Les plus dévots utilisaient des statues de marbre grandeur nature (1,98 m) de Nicolas de Sarcotie nu dans une posture typique et solennelle, le front ceint d'une couronne de laurier, car chacun connaissait sa passion pour cet aromate.

La plupart du temps, on préférait placer à droite de l'autel une photographie du prince-démocrate, prise dans la bibliothèque de son palais, et à gauche de l'autel une statuette en résine blanche ou en plâtre de Brégide de Barredeau, qui assurait la bienveillance du saint patron des ruminants et des carnivores domestiques non-comestibles.

L'image avait davantage de valeur spirituelle lorsqu'elle portait une mention manuscrite de Nicolas de Sarcotie lui-même, ou un tampon d'un de ses collaborateurs proches du commissariat.

La photographie proposée aux Europains avait été choisie avec passion par Nicolas de Sarcotie lui-même, sur les conseils de sa première épouse, Cécellelà de Sarcotie, qui avait mis un soin minutieux à lui redresser la cravate, qu'il avait peu l'habitude de porter, car il faisait le plus souvent son jogging (rite de la course autour du palais avec ses ministres) dans un T-shirt ample qui cachait son corps souple luisant de sueur.

Cécellelà de Sarcotie était l'ancienne épouse du maitre de télévision du dimanche après-midi, Jaque de Martin, mais s'était lassée de lui quand il avait cessé d'apparaître sur les écrans au profit d'un jeune animateur rebelle, insolent et incorruptible, Michel de Druquère.

Nicolas de Sarcotie était très épris d'elle, et lui avait promis qu'après sa mort, elle pourrait épouser Aristo d'Onanisme, comme son idole de l'Etasunie, Jaquille Quinedit, de la dynastie Quinedit.

Cécellela de Sarcotie motivée par cette grosse carotte et par un voyage à Malte tous frais payés, avait alors accepté de donner le change quelques semaines encore.

Les divinités pouvaient ainsi être honorées avec la dignité et la déférence qui convenait.

De plus, chaque Europain de cette époque s'endettait, souvent lourdement, pour se faire construire un petit autel présidé par l'effigie de Nicolas de Sarcotie, en fonction de ses moyens économiques, du poids de sa conscience et de la pression fiscale.

Au petit matin, avant l'aube, le chef de famille envoyait sa femme renouveler le collier de fleurs tressées dont on décorait la photographie, et préparer les plats et l'encens qu'on lui apportait en offrande, ainsi que les amendes amères qu'on voulait voir amnistier.

Alors seulement, quand tout était prêt, il s'autorisait à se lever, si le café était chaud, et les tartines beurrées.

Certains historiens rapportent que des abus étaient commis, certaines de ces épouses profitant de la solitude matinale pour s'offrir de menus plaisirs devant l'effigie de Nicolas de Sarcotie.

Mais la société tolérait assez bien ces excès de ferveur, et les maris étaient en général assez compréhensifs.

Si les plats avaient disparu avant que le chef de famille vienne présenter ses propres hommages, cela signifiait que Nicolas de Sarcotie agréait l'offrande et accordait sa bienveillance.

Les plats disparaissaient d'autant plus vite que les familles possédaient des animaux domestiques, ce que chacun comprenait comme un témoignage de l'attachement que le prince-démocrate portait à ces petites créatures.

Les amendes ne disparaissaient jamais, aussi ferventes que fussent les prières.