Trabalho: sim. Samba: não.
Jaurès de l'Avenue, in 
 La Protohistoire


Au temps de Nicolas de Sarcotie, les gens n'aimaient pas le travail.

Aujourd'hui, chacun sait que cette enrichissante activité est totalement indispensable au développement et à l'épanouissement harmonieux d'une société civilisée.

De plus, il est évident qu'en travaillant plus, on gagne plus, et on s'offre ainsi la possibilité de s'extraire de sa condition misérable et d'offrir un avenir meilleur à sa famille et à ses ex-conjoints divorcés qui ont bénéficié d'un jugement en leur faveur.

Et en travaillant plus-plus, on gagne plus-plus.

A cause de ce terrible et absurde préjugé qui avait cours en ce temps-là, et de la pression de la société, les citoyens qui ne pouvaient faire autrement que de travailler vivaient dans une humiliation permanente, au lieu de se sentir exaltés et ennoblis par l'humble et honnête labeur.

Beaucoup des plus désespérés (notamment les malheureux atteints de socialite, ou d'une de ses formes aigües, la mondialite) s'ingéniaient à inventer des moyens d'échapper au travail:

Les plus organisés mettaient en place des mesures institutionnelles stupéfiantes, comme l'indemnisation du chômage, les congés payés, les congés de maternité, les incapacités temporaires de travail, les jours fériés.

D'autres s'efforçaient de mettre au point des solutions individuelles pour se soustraire à l'infamie du travail, comme les congés maladie de complaisance, les pauses-café à rallonge, les arrivées en retard, les départs anticipés, la varicelle des gosses, etc.

A chaque fois que c'était possible, il s'efforçaient de détourner leur travail au profit d'activités improductives, comme la confection de cocottes en papier, le pliage de trombones, les conversations téléphoniques entre copines de cheval, ou le chat sur Internet.

Par ailleurs - cela nous parait étonnant aujourd'hui - il était couramment admis que le travail devait être rémunéré.

Ce principe fournissait même un prétexte commode pour refuser un travail, lorsqu'on jugeait qu'il était insuffisamment ou pas du tout payé.

Les entreprises dépensaient des fortunes pour rétribuer leurs employés, ce qui diminuait fortement leurs performances, et rendait l'économie chroniquement déficiente.

On poussait même souvent l'absurdité jusqu'à recruter des employés spécialement pour gérer la paye des autres employés !

Heureusement, la conscience économique progresse, et de nos jours plus personne ne met en doute le principe selon lequel le revenu doit être issu de la saine gestion de son portefeuille d'actifs et du bénéfice de son assurance-vie.

A l'époque des princes-démocrates, chacun voyait dans la retraite l'aboutissement de sa courte carrière.

Le stupéfiant concept de retraite correspondait à un moment où il n'était plus du tout possible de travailler.

Or chacun sait que le travail des castes subalternes rend libre et heureux, et qu'en être privé est pour elles une forme de mutilation psychologique.

Les malheureux qui parvenaient à cette effroyable échéance de la retraite erraient, pitoyables créatures désœuvrées, les bras ballants, interpellant les passants indifférents pour quémander quelques heures de travail, à faire du ménage ou à décharger sur les marchés les camions à huile de pétrole de leurs cageots de légumes végétaux naturels.

Du coup, ils subissaient une forme de déchéance physique, répandue à l'époque, qu'on appelait vieillesse, et qu'on ne savait pas guérir.

Le corps, privé de la vigueur et de la santé qu'apporte le travail, se flétrissait et perdait sa souplesse, et la prostate gonflait jusqu'à occuper la plus grande partie de l'abdomen.

Les femmes bénéficiaient d'une vieillesse progressive, qu'on appelait la ménopause, qui permettait d'arrêter le travail par intermittence, un peu tous les 28 jours.

Les hommes, eux, tombaient directement dans la retraite, sans que rien vînt pour diminuer leur souffrance.

La société percevait confusément cette décrépitude comme une anomalie, et on trouve dans les textes les traces historiques de débats sur l'euthanasie qui étaient régulièrement relancés, à chaque fois qu'un vieux venait à mourir.

Par ailleurs, des immigrés venus de tous les pays du monde s'efforçaient de venir à Europe pour ne pas travailler, car on leur laissait entendre que le chômage actif était une valeur de civilisation à laquelle tout être humain avait droit.

Ils abandonnaient leur pays et le bénéfice d'un prestigieux travail d'esclave quasi-gratuit seize heures par jour au profit d'un rêve illusoire d'oisiveté prôné par les activistes des associations de victimes de la mondialite.

Evidemment, dès leur arrivée, ils tombaient comme des mouches, et se mettaient à exiger un salaire, que les employeurs clandestins ne pouvaient évidemment pas leur offrir sans compromettre la précaire santé économique de leur petit business.

Et à cause de leur faible niveau de conscience économique, ils en voulaient beaucoup à leur patron-esclavagiste, qui n'y pouvait manifestement pas grand chose, même avec la meilleure volonté du monde, navré.